Auprès de la personne handicapée. Une éthique de la liberté partagée

Elisabeth ZUCMAN, Vuibert, 2007, 223 p.

Il est de coutume, tant pour les professionnels de santé que du secteur socio-éducatif, de se maintenir à distance d’une implication excessive. C’est exactement l’inverse qu’a pratiqué Elisabeth Zucman, au cours des cinquante années qu’elle a consacrées à un travail incessant auprès des personnes atteintes de maladie ou de handicap. Ce qui frappe dans cette vie fertile, c’est la profonde humanité et l’action visionnaire de cette grande dame. Très tôt, Elisabeth Zucman revendique de traiter chaque malade avant tout comme une personne et non comme une maladie, tout comme elle se fait une ardente défenseuse de la place des parents auprès des enfants hospitalisés. Thèmes certes largement repris aujourd’hui, mais qui ne l’étaient pas du tout dans les années 1940 ! Dès le début de sa carrière, elle est révoltée par la limitation du diagnostic d’infirmité motrice cérébrale aux seuls enfants dotés d’un niveau mental leur permettant d’accéder à une scolarisation. Les autres devaient se contenterd’une allocation de 70 Euros par mois, qui ne pouvait être obtenue qu’avec un certificat médical attestant de leur caractère inéducable et irrécupérable. Aux côtés d’autres personnalités, tel Stanislas Tomkiewicz, elle fera valoir que « le nazisme est vaincu depuis vingt ans ; notre pays ne peut continuer à traiter une part de sa population comme une sous-humanité en lui refusant le droit aux soins » (p.55) Tous ces efforts aboutissent, en 1964, à la formation du « Comité d’études et de soins aux arriérés profonds ». Aidé par l’Assistance publique et financé par la CNAM, cet organisme créera des consultations spécialisées et des internats médico-sociaux, mais aussi des services tout à fait précurseurs : aide éducative à domicile (les SSESAD ne naîtront qu’en 1980), placement familial spécialisé, ou encore colonies de vacances. Pionnière en dispositifs, Elisabeth Zucman l’est aussi en sémantique. Voulant se débarrasser du terme stigmatisant d’« encéphalopathes », elle utilisera l’expression d’« arriération profonde », avant de se rendre compte de la connotation tout aussi négative de cette formulation. En 1968, elle emploiera pour la première fois la notion de polyhandicap qui est devenu aujourd’hui l’appellation officielle. Elle jouera un rôle à nouveau prémonitoire en 1986, en contribuant à un atelier européen de l’OMS sur la question de l’éthique, bien avant que cette question ne devienne incontournable. Directrice de service, conseillère technique au CTNERHI, formatrice, directrice d’une école d’éducateurs, Elisabeth Zucman s’est toujours battue pour que derrière la prison du silence, de l’immobilité et de l’étrangeté de l’apparence, on aille rechercher la personne dans toute sa singularité. Au crépuscule de sa vie, loin de s’enorgueillir de l’action accomplie, elle remercie les enfants et adultes qu’elle a croisés pour ce qu’ils lui ont appris. Chapeau bas, Madame.

 

Jacques Trémintin -  LIEN SOCIAL ■ n°841 ■ 24/05/2007