L’histoire politique du handicap - De l’infirme au travailleur handicapé

Pascal DORIGUZZI, L’Harmattan, 1994, 223 p.

La manière dont chaque société traite ses personnes handicapées est révélateur de son mode de fonctionnement.
Pendant des siècles, la désignation commune de l’inadaptation a été résumée dans le terme “ infirme ”. Puis au XXème siècle, on assiste à une accélération: on passe coup sur coup au vocable de “ mutilé ” puis d’ “ invalide ” avant que ne finisse de s’imposer la notion de “ handicapé ”. Pascal Doriguzzi atteint lui-même d’une ataxie qui le contraint à utiliser un fauteuil roulant nous propose une histoire du handicap depuis la période féodale jusqu’à nos jours, dont l’évolution sémantique est le reflet.
Le Moyen-Âge considère l’infirme comme une forme de la misère parmi tant d’autres qui signifie vivre ou survivre des aides familiales, du voisinage ou de la charité paroissiale. Sa représentation sociale tient à la fois de l’angoisse que sa souffrance inspire et du respect que sa proximité avec le sort du christ induit.
Mais dès que la domination économique rurale cède la place à la puissance urbaine, alors la richesse se trouve idéalisée et l’infirme se trouve marginalisé et mis à l’écart.
C’est la révolution française qui la première pose la question sociale dans son acception moderne en créant un Comité de Mendicité et en inventant le concept d’assistance publique. La constitution de la Convention précise: “ l’Etat devra du travail à ceux qui sont valides; il devra assistance à ceux qui sont infirmes ou qui ne pourront travailler. ” Mais, ces bonnes intentions ne se concrétiseront pas avent 1905, date à laquelle est promulguée la loi sur “ l’assistance obligatoire aux vieillards, infirmes et incurables ”. Ce texte voté malgré et contre la longue résistance des milieux conservateurs et patronaux prend place dans les grandes réformes sociales de la IIIème république.
Après la première guerre mondiale, la société responsable de millions de morts et parmi les survivants d’1 million d’invalides et de 388.000 mutilés ne peut plus raisonner en terme d’assistance. La loi de 1919 organise les pensions des mutilés de guerre. Celle de 1924, leur intégration sur le marché du travail: elle prévoit l’obligation d’emploi des salariés handicapés et instaure une redevance due par l’employeur en cas de non-respect de cette obligation.
Les lendemains de la seconde guerre mondiale sont marqués à leur tour par une loi qui va unifier les régimes d’invalidité en abandonnant la distinction sur l’origine civile, militaire ou professionnelle (1949).
Mais le taylorisme et son lot de vitesse, de cadences et de productivisme cantonne le travailleur handicapé dans le domaine de l’humanitaire. La solution imaginée se détourne d’une intégration dans le système scolaire et économique ordinaire au profit d’institutions spécialisées. L’enfance inadaptée est largement médicalisée. Quant aux adultes, on les destine aux Ateliers de Travail Protégé et aux Centres d’Aide par le Travail qui ouvrent dès 1957. L’assistance constitue le rapport social de plus de 80 % des personnes handicapées professionnellement qualifiées. Une étude du ministère du travail publiée en 1994 et concernant l’année 1992 indique que sur 89.000 établissements soumis à l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés, 35 % respectent les 6 % de quota fixé par la loi, 25 % n’atteignent pas ce taux et 40 % se contentent de verser la redevance annuelle à l’AGEFIPH. Le strict respect de la légalité aurait nécessité l’embauche supplémentaire de 100.000 personnes.
La crise économique intègre au cortège des handicapés stricto-sensu toute une population marginalisée dans un amalgame aux contours des plus flous.
L’avenir de la personne handicapée est solidaire de celui du reste de la société notamment en ce qui concerne le choix d’une autre finalité sociale que la productivité à tout prix qui pousse à la marginalité de centaines de milliers de gens qu’ils soient inadaptés ou non.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°397 ■ 08/05/1997