Le corps accidenté. Bouleversements identitaires et reconstruction de soi
TESSIER Peggi, Ed. PUF, 2014, 282 p.
Le handicap acquis s’accompagne d’une perte d’estime de soi liée à la difficile acceptation de sa nouvelle apparence, la plupart des personnes valides pensant qu’une vie invalide n’est pas digne d’être vécue et qu’en cas d’accident, il vaut mieux mourir que de vivre paralysé. Pour autant, l’expérience que chacun fait du bouleversement identitaire qui suit la désolidarisation vis-à-vis du corps transformé, est propre à chacun explique Peggi Tessier. Vient d’abord une phase de déni face à une réalité insupportable, bientôt suivie par une fréquente agressivité. On ne se résigne plus face au sort voulu par un Dieu punisseur ou à un hasard transcendant. On recherche les responsables dont l’imprévoyance ou la maladresse ont engendré le pire : l’accumulation d’une série de causalités à l’origine du handicap subi. Puis, advient une période de dépression plus ou moins intense liée à l’obligation d’avoir à faire face à ce corps accidenté à la fois perdu, exposé, lésé et relégué qui est le sien et à la perspective hypothétique de le voir réparé, amélioré ou performé. La reconstruction identitaire se réalise donc à travers de multiples dualités entre le passé et l’avenir, la déficience et la capacité, ce qui est récupérable et ce qui ne l’est pas, le risque étant de rester bloqué entre le statut d’avant et celui d’après. Faire le deuil de son ancien corps implique d’accepter de manière active son nouvel état physique. Or, sous le handicap, court l’infirmité et sous l’infirmité se cache le monstre. L’émergence du sujet en situation de handicap ré humanisé et bénéficiant tant d’une réadaptation que d’une compensation est le résultat de la lente évolution de la pensée et des pratiques sociales. Pour autant, l’épreuve de la souffrance précède encore celle de l’altérité et du regard d’autrui, le stigmate étant autant ce qui distingue que ce qui disqualifie.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1178 ■ 04/02/2016