La tribu des GEM

JAFFRIN Stéfan, Éd. érès, 2022, 281 p.

Dans un style sans filtre et un peu foutraque, le livre de Stefan Jaffrin fourmille de mille détails d’autant plus précieux que le thème qu’il traite est plutôt méconnu. Bien à tort, car ces Groupes d’entraide mutuel constituent l’une des tentatives les plus avant-gardiste de mise en œuvre du fameux pouvoir d’agir, dans notre pays.

La démarche remonte à ces « Alcooliques anonymes », créés aux USA en 1937, qui mettent en scène des patients témoignant et s’entraidant entre eux. Cette approche de soutien par les pairs ne supplante pas le soin médical. Il lui est parallèle et revendique la complémentarité. Il existait déjà, en psychiatrie, ces clubs thérapeutiques émanation de la pédagogie institutionnelle soucieuse de refonder les relations entre soignants et soignés. Ils tendent aujourd’hui à être remplacés par les GEM, officialisés par la loi du 11 févier 2005 et financés par les ARS, à hauteur de 75 000 euros par an. La différence entre ces deux structures, c’est que le nouveau venu a un caractère non médical.

Le cahier des charges qui préside à leur fonctionnement exclut en effet tout rôle thérapeutique direct. Excluant toute fonction curative, il lui préfère le registre de la prévention de l’exclusion. Son ambition est sociale : ce doit être, et c’est, un lieu de vie ouvert 35 heures par semaine où les membres s’autoorganisent sur le principe de l’autogestion. Celles et ceux qui y séjournent, viennent d’abord pour fuir leur isolement, se changer les idées autour d’un café et surtout ne pas parler de leur maladie ! Ils y pratiquent des arts plastiques, des ateliers d’écriture, du théâtre, de la permaculture, du sport ou des sorties. Si beaucoup de GEM sont repliés sur eux-mêmes, vivant dans une forme d’autarcie, d’autres s’ouvrent bien plus sur l’extérieur, animant un café associatif ici, un festival cinématographique là, une galerie d’art encore ailleurs, voire un défilé de mode ou un magasin solidaire, prenant ainsi pleinement leur place dans la vie locale.

Pour écrire son livre, Stefan Jaffrin est allé à la rencontre de beaucoup de GEM. Le tableau qu’il nous en dresse est marqué par la grande diversité qui les caractérise. Les uns proposent un accueil indifférencié, quand d’autres ne sont ouverts qu’à certaines pathologies : 80 % d’entre eux sont ainsi dédiés aux troubles psychiques, 15% aux cérébrolésés et 5% au spectre de l’autisme. Les 50 ans de moyenne d’âge des adhérents découragent les plus jeunes à y entrer. L’admission se fait sans lettre de recommandation d’un psychiatre, après quelques mois de fréquentation, pour vérifier la stabilisation du candidat. Le calme et la tranquillité que recherchent avant tout pas les 35 000 personnes qui les fréquentent sont à ce prix.

Promus et encouragés, dès le début, par quatre associations de familles, de thérapeutes et de patients, le concept a rencontré un rapide succès, passant d’une trentaine en 2005 à 300 en 2011 et 650 en 2022. En 2014, une confusion est venue freiner cette notable progression, avant qu’elle ne reprenne de plus belle : la focalisation sur la pair-aidance et sa professionnalisation. Mais ces médiateurs santé intervenant dans les établissements médicaux et médico-sociaux, pour intéressante que soit leur fonction ne peuvent être confondus avec les GEM dont la vocation est bien d’être totalement indépendant du milieu de prise en charge médicale.

Si l’application du mode de fonctionnement s’ajuste à chaque contexte local, les règles sont bien définies. Une forme juridique de type association loi 1901, un Président et des membres du Conseil d’administration choisis parmi les adhérents. Un Parrain garant du bon fonctionnement éthique. Un gestionnaire pour dispatcher le budget. Enfin, un ou plusieurs animateur(s) professionnels chargés de proposer, de concevoir et d’organiser autant la vie quotidienne que les activités de loisirs.

Notre pays compte 500 000 associations culturelles et sportives. Il s’y passe le pire comme le meilleur. Il y a nulle raison pour que les GEM échappent à ces aléas. Certains d’entre eux périclitent ou sont en crise, quand la dynamique de bien d’autres est réactive et créative. Après avoir largement plébiscité cette forme d’organisation, Stefan Jaffrin en décrit la face cachée : risques d’instrumentalisation par les grandes associations qui en gèrent déjà un certain nombre ; fiction d’une autogestion pas toujours effective, la mainmise des parrains, gestionnaire ou des animateurs prenant le pas sur le pouvoir des adhérents ; dérive de l’enfermement dans un ghetto, les participants vivant trop en vase clos ; faible rémunération et qualification des 1 200 animateurs qui y travaillent. Enfin, il y a l’accusation de voir les GEM prendre le relai des Centre médico-psychologiques et de l’hôpital psychiatrique en grande difficulté, à moindre fais. Sans compter la règle centrale de la démédicalisation qui précarise des patients, en les éloignant du soin et en les condamnant à stagner dans leur pathologie.

Même si la nuance et la lucidité sont ici de mise, reste cette idée fondatrice que l’on ne peut qu’applaudir : sortir les malades de l’univers hospitalier et leur donner du pouvoir.