Bonjour jeune beauté!
AUBER Jeanne et Tristan, Ed. Bayard, 2013, 195 p.
Les témoignages de parents d’enfant avec handicap se suivent et ne se ressemblent pas. Ce que nous rapportent ici Jeanne et Tristan Auber, c’est à travers leur vécu, leur ressenti et leur expérience, ce que l’on peut retrouver à chaque fois et nulle part ailleurs. Car, si l’on constate dans ce récit toujours la même souffrance, le même dévouement et la même humanité de ces familles frappées par le sort différent de l’un de leurs enfants, il y a là un cheminement unique et propre dans l’intimité duquel les auteurs nous invitent à entrer. La lecture de ce document est à conseiller à tout professionnel travaillant avec le handicap, pour la connaissance qu’il apporte de ce que vivent ces parents qui vont constituer pendant des années ses partenaires privilégiés. Mais, elle l’est tout autant pour le lecteur à l’esprit ouvert qui cherche à comprendre le calvaire que constitue parfois la survenue d’une déficience non attendue. Julie, atteinte d’une anomalie génétique rare, manifeste très tôt un retard tant mental que physique : premiers pas à vingt cinq mois, propreté à cinq ans, langage compréhensible à onze ans. L’établissement d’un diagnostic a plus ressemblé au parcours du combattant, qu’à une promenade de santé, le nombre de consultations s’allongeant avant que l’on trouve enfin l’origine du problème. Les multiples équipes médicales consultées se sont montrées brutales parfois, bien plus respectueuses souvent, au point d’accueillir l’enfant d’une expression qui fait le titre de l’ouvrage. Certaines écoles ont manifesté beaucoup d’humanité, quand d’autres furent ouvertement rejetantes. Quant aux structures spécialisées, elles ne furent pas toutes aussi bienveillantes que leur agrément le justifiait. Que de temps perdu, d’humiliation, de douleur, de rage, de colère et d’impuissance ! Mais, le témoignage de ces deux parents ne se résume pas à de légitimes récriminations contre une société pas vraiment prête à accueillir la différence du handicap. Il est tout autant tourné sur ce qui s’est vécu pendant tant d’années au sein de leur propre famille. Que ce soit la négligence vécue par la fratrie confrontée à une sœur aînée accaparant toute l’attention de leurs parents ou l’éloignement progressif de la famille, des amis et des proches. Mais aussi, ce sentiment de violence provoqué au quotidien par une enfant aux troubles du comportement, humainement à la limite du supportable. Voilà deux parents qui s’autorisent, loin des clichés de sacrifice et d’abnégation qui collent à leur statut, à dire leur haine et leur pulsion de mort à l’égard de leur fille. S’ils ont su dépasser et transcender ce sentiment morbide, cet aveu est une précieuse aide à toutes celles et tous ceux qui, éprouvant les mêmes ressentis, culpabilisent ou n’oseront jamais reconnaître une telle perception.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1109 ■ 13/06/2013