Je suis à l’est! Savant et autiste, un témoignage unique
SCHOVANEC Josef, Ed. Plon, 2012, 249 p.
Comment vit-on l’autisme, quand on en est soi-même atteint ? Joseph Schovanec répond à cette question, avec humour et dérision parfois, lui qui, docteur en philosophie, diplômé de Sciences Po et polyglotte maîtrisant une dizaine de langues, n’en est pas moins directement concerné par ce syndrome. Pris parfois pour un benêt à qui l’on annone pour bien se faire comprendre, à cause de son phrasé, mais considéré comme un petit génie, à l’énoncé de ses titres, il est, en fait, ni l’un, ni l’autre. Car, son savoir académique ne lui est pas d’une grande utilité, pour vivre avec les autres. Entrer en relation nécessite de prononcer la phrase adaptée à la situation. Le cérémonial de serrage de main amène à repérer le bon moment, pour tendre le bras, ni trop tôt, ni trop tard. Celui de la bise implique de tenir la bonne distance. Recevoir un compliment oblige à réagir positivement, en montrant qu’on n’est pas indifférent, tout en faisant preuve de modestie et en valorisant son auteur qui attend un retour. Le jeu des regards est tout aussi important : ne pas fixer son interlocuteur est perçu comme impoli, mais il est inapproprié de le faire d’une manière ininterrompue. Tous ces comportements, s’ils sont progressivement compris et intégrés par l’enfant, constituent longtemps un mystère pour celui avec autisme. Pour lui, l’apprentissage social se fait d’autant plus dans la douleur, qu’il est contraint à s’adapter et à trouver des solutions, face aux situations imprévues. Alors que l’autisme contraint à rechercher la sécurité de la routine et de la prévisibilité, tout changement dans l’ordonnancement de la journée peut provoquer de graves crises d’angoisse. L’auteur raconte sa déstabilisation, quand un cours devant se terminer à 10h00, prenait fin à 10h02. La logique communément admise reste énigmatique : « est-ce que je peux voir votre billet ? » interrogeait le contrôleur. « Non vous ne pouvez pas le voir, puisqu’il est dans ma poche », lui répondait-il, avec sincérité. A ce manque de compétences sociales, se sont ajoutés les mauvais traitements. La violence tant verbale que physique de certains élèves, déconcertés par la facilité à décliner toutes les étoiles du firmament ou à citer les noms des pharaons s’étant succédés, durant les trente dynasties, contrastant avec une si grande maladresse à communiquer. Mais aussi, l’incompétence d’un monde médical se montrant incapable d’identifier l’autisme, mais prompt à faire payer cinq années de cure psychanalytique, sans autre résultat que d’enrichir le thérapeute ou à infliger des traitements médicamenteux à coup de neuroleptiques, d’anxiolytiques ou d’anti-dépresseurs, sans autres effets que de faire dormir une bonne partie de la journée. Un précieux témoignage d’un autisme vécu de l’intérieur, à surtout ne pas manquer.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1095 ■ 28/02/2013