Patients
GRAND CORPS MALADE, Ed. Don Quichotte, 2012, 164 p.
Fabien Marsaud voulait devenir prof de sport. En 1997, un plongeon dans une piscine, au niveau d’eau trop bas, et c’est la fracture d’une vertèbre cervicale qui se loge dans la moelle épinière. Celui qui deviendra, en 2003, l’artiste de slam connu sous le nom de « grand corps malade » n’est encore qu’un patient atteint de tétraplégie. Il passe une année, en centre de rééducation fonctionnelle. Quinze ans après, il nous propose le récit de ce séjour, étonnant de précision, plein d’humanité et d’humilité, écrit avec humour et lucidité. Son premier hommage, il le rend au personnel soignant envers qui il voue un immense respect et une éternelle gratitude : aides soignant intervenant dans le quotidien le plus intime, kinésithérapeutes n’ayant de cesse que de faire progresser leurs malades, ergothérapeutes inventant des bricolages les plus ingénieux, pour faciliter les gestes les plus élémentaires. Ce ne sont ni des membres de sa famille, ni des amis, ni des conjoints, explique-t-il. Et pourtant, en situation d’autonomie zéro, on est dans l’entière dépendance à l’égard de ces humains qu’on ne connaissait pas la veille encore. Autre souvenir marquant, l’expérience de l’immobilisation : trois mois pour réussir à se tourner sur le côté droit. Qui dit mieux ? Allongé sur le dos, le champ de vision se limite au plafond et au visage des personnes qui ont l’amabilité de se pencher sur vous. Il ne reste plus qu’à fixer le moindre détail. Et le néon, juste au-dessus du lit, on le connaît par cœur. Les petits carrés de la grande gille rectangulaire qui le masque ? On en connaît le nombre exact : 494 ! Et puis, il y a cette véritable cour des miracles qui peuple le centre : paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés, au même corps décharné et squelettique. On s’habitue à voir l’inhabituel, à vivre des choses dérangeantes : malades en short se déplaçant sur une seule jambe, momies entourées de bandages, patients poussés dans des fauteuils la tête de travers, la bouche ouverte et le regard dans le vide. Aucun n’a choisi d’être là. Les uns rêvent de remarcher un jour. Les autres tentent de se résigner de ne jamais y parvenir. Certains sont en soin, suite à une tentative de suicide. D’autres y pensent, comme réponse ultime à leur découragement. Seulement 15 % des handicaps sont acquis à la naissance, 85 % l’étant par accident de la vie. Ce récit d’un homme valide plongé brutalement dans le monde du handicap propose un regard à la fois distancié et totalement impliqué. La force du propos ne peut laisser indifférent. D’abord, parce que nous sommes tous potentiellement concernés. Mais aussi, parce qu’il est rare de vivre ainsi par procuration une telle expérience à la fois terrifiante et singulière. A lire, absolument.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1095 ■ 28/02/2013