Dialogue sur le handicap et l’altérité. Ressemblances dans la différence

ANCET Pierre, NUSS Marcel, Dunod, 2012, 245 p.

L’un est atteint d’un très grave handicap qui le cloue sur son fauteuil, sans que pour autant sa capacité intellectuelle n’en soit affectée. L’autre enseigne la philosophie à l’université, sans que pour autant il soit exempt de toute fragilité. Ces deux personnalités nous offrent dans cet ouvrage une pensée et une réflexion d’une profondeur et d’une intensité qui justifient qu’on se le procure, séance tenante. Il y est question, bien sûr, du handicap : le vécu psycho corporel qu’il induit, la douleur et les souffrances qu’il engendre ou l’accès à la sexualité qu’il rend difficile. Mais, le propos va bien au-delà, incluant la destinée humaine et ce qu’il y a de plus profond dans ses fondements. Dans notre société, le culte de l’apparence est à ce point tyrannique qu’il est devenu la condition première de notre bonheur. Or, le handicap est l’antithèse de cette image idéalisée. D’où l’importance, expliquent les auteurs, de ne pas confondre le regard que l’autre porte sur nous et l’image qu’on lui renvoie, l’enveloppe organique qui est la nôtre et le corps que l’on est. Il n’y a rien de rabaissant dans le handicap. La monstruosité n’existe pas en soi, sa représentation dépendant d’un moment socioculturel donné. Ce qui est stigmatisant, c’est l’attitude et le regard déshumanisant et désincarnant de l’autre, quand ils expriment ses préjugés ou son irrespect. La vision du monde en général, que nous avons n’a rien d’objectif. Elle est filtrée par les habitudes perceptives à la fois individuelles, familiales, groupales et socioculturelles acquises, dès le plus jeune âge. Celle que nous avons en particulier sur le handicap est fortement influencé par les normes intériorisées qui nous font mettre à distance toute différence : nous sommes empreints de bien plus de pitié que de cette empathie nous permettant de nous représenter ce que l’autre ressent, sans nous sentir angoissé par sa fragilité. Face au handicap, nous sommes partagés entre l’effroi, le sentiment de menace, la commisération, l’ambivalence et l’admiration. Il nous manque juste cette considération, fondée sur la conviction que la dissemblance enrichit et qui commence, lorsqu’on ne voit plus ni la difformité, ni la déficience, mais au-delà de ce reflet pas toujours flatteur, l’individu en tant que personne. Le corps fait de l’ombre à la relation, au point d’être devenu une barrière à la possibilité de rencontre avec autrui. Ce qu’il faut, dès lors, valoriser c’est, avant tout, la reconnaissance d’une condition humaine commune et universelle partagée et non privilégier une situation particulière : on peut être valide et malheureux, avoir un handicap et être heureux, disposer de toutes ses capacités physiologiques et être paralysé dans sa tête.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1089 ■ 17/01/2013