La société inclusive, parlons-en! Il n’y a pas de vie minuscule
GARDOU Charles, érès, 2012, 170 p.
Depuis quelques années, Charles Gardou s’est fait le chantre convaincu et convainquant d’un humanisme sans faille, sur la question du handicap. Son dernier ouvrage ne déroge ni à l’éloquence, ni au souffle auxquels il nous a habitués. Qu’on en juge ! Comment éviter que la proclamation toute récente de l’intention inclusive ne se réduise à un écran de fumée rhétorique, s’interroge-t-il ? Le changement de paradigme face au handicap implique, tout d’abord, toute une série de renoncements. A l’illusion que constitue le charme de cette perfection que nous nous fixons et à l’espoir chimérique du maintien d’un esprit et d’un corps qui ne devraient ni dysfonctionner, ni vieillir, ni mourir. A l’emprise excessive de la norme, ensuite, qui prescrit, proscrit et asphyxie le singulier et contraint à un devoir de conformité, menaçant de désaffiliation et renvoyant à la marge tous ceux qui contredisent les modèles et archétypes dominants. A la passion de l’ordonnancement et de la catégorisation aussi, qui fige des frontières prédéterminées entre eux et nous, les forts et les faibles, les malades et les bien portants, les normaux et les anormaux, les handicapés et les valides. A ce vocabulaire dépréciatif qui blesse, enchaîne et stigmatise, condamnant à une fausse essentialisation : anormal, débile, dépendant, diminué, estropié, impotent, inadapté, inapte, incapable, infirme. A la cage des peurs ancestrales qui enferment nos croyances à l’égard du handicap : ignorances, superstitions, idées reçues, préjugés, stéréotypes, affabulations, archaïsmes, obscurantismes, imposture et mystifications. Quelle serait donc alors cette société qui assumerait pleinement sa volonté inclusive ? Ce serait celle qui accorderait plein droit de cité à la diversité des silhouettes humaines et à leur mode d’action au monde ; qui s’ouvrirait à la polyphonie de l’humain, à la mouvance de ses apparences, à l’impermanence et à la chétivité essentielle de son existence ; qui réunifierait les univers sociaux hiérarchisés pour former un « nous », à partir du singulier, du métis, du divers avec ses bizarreries et ses discontinuités ; qui édifierait des passerelles entre les territoires clos, opèreraient des brèches dans les murs, ouvrirait des voies inédites à celles et à ceux qui attendent dans des impasses et faciliterait la circulation de sève dans le tronc commun ; qui induirait une intelligence collective de la vulnérabilité, conçue comme un défi social à relever solidairement ; qui compenserait un contexte peuplé d’obstacles et de rigidités qui majorent les conséquences du handicap ; qui valoriserait les ressources et capacités d’intensité variables ; qui redonnerait la parole à ceux à la place de qui on parle trop souvent. Il y a du boulot ? A chacun de s’y atteler !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1089 ■ 17/01/2013