La persécution rituelle des drogués bouc émissaires de notre temps/ Le contrôle d’Etat de la pharmacopée

Thomas SZASZ, Les éditions du Lézard, 1994, 293 p.

Les propos tenus par Thomas Szasz dans cet ouvrage paru il y a plus de 20 ans aux Etats-Unis n’ont pas pris une ride. Ce psychiatre s’en prend avec virulence et talent aux “spécialistes”  qui depuis tant d’années prétendent apporter la bonne parole sur le “problème de la drogue”.  “ Nos prétendus experts en toxicologie ne sont que les boutiquiers du mensonge médical aux ordres de la politique... les voilà habillés pour l’hiver !  

Même si l'on ne peut suivre l’auteur sur tous les chemins qu’il nous propose, force est de constater la force de cet essai qui n’est pas seulement un brûlot décapant: c’est aussi une tentative de prise de distance à la fois historique, psychologique, ethnologique sur une réalité traitée trop souvent d’une façon hystérique et sectaire et au “ raz des pâquerettes ”.

Premier niveau d’argumentation de Thomas Szasz: la définition de la toxicomanie reste marquée profondément par des conventions relevant de l’anthropologie, de l’éthique, de la loi, de la religion ... Ainsi relève-t-il ce décret de Charles Quint de 1529 condamnant à mort tout possesseur des Nouveaux  Testaments en langue vulgaire (=autre qu’en latin). La mort frappe aussi tout fumeur de tabac surpris en Russie au XVII ème siècle. Un mouvement de boycott vise la consommation de thé en Nouvelle Angleterre en 1770 (des produits de substitution tel le sirop de framboise étant fortement préconisé). Le bon docteur Freud, quant à lui, s’est adonné à la cocaïne, une partie de sa vie, consacrant à cette substance en 1884 un essai des plus élogieux. Le docteur William Steward Halsted, l’un des plus célèbres  chirurgiens américains fut un morphinomane acharné jusqu’à la fin de sa vie intervenue en 1922.  Tout cela montre à l’envie que chaque société et/ou chaque époque fixe d’une façon tout à fait arbitraire la liste des produits ou des conduites considérés alors comme soit une panacée soit ce que l’auteur appelle une “ panapathogène ”. S’appuyant sur une étude historique du bouc-émissaire, il démontre comment les drogues illicites -pourtant parfois ni plus et souvent moins destructrices que les drogues licites- sont devenues les produit dont la purgation constituait à un moment donné le ciment fondamental de la société occidentale. S’établit alors un parallèle entre la persécution des sorcières au Moyen-Age qui représentaient une menace pour le pouvoir des prêtres et les drogués pourchassés pour ce qu’ils représentent comme remise en cause du pouvoir des médecins.

Et c’est bien là l’autre ressort du livre qui consiste à dénoncer une idéologie médicale que la révolution scientifique a permis de voir succéder à l’idéologie religieuse. La recherche de l’équilibre et de l’épanouissement de l’être humain a été confisquée par des spécialistes en soins et autres thérapies qui se font fort d’apporter le bonheur du moment que l’individu reste dépendant et soumis. Thomas Szasz appelle à la valorisation de l’autonomie et de l’auto-contrôle qui permettent seuls à l’Homme de s’émanciper de l’autorité d’une institution qui prétend le réglementer et le protéger malgré lui.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°309 ■ 01/06/1995