Je vous demande le droit de mourir

Vincent Humbert, éditions Michel Lafon, 2003, 188 p.

Le tapage médiatique qui a accompagné la parution de ce livre (un bandeau annonçant d’une manière particulièrement racoleuse que son auteur ne vivrait peut-être plus au moment de la mise en vente de son récit) avait de quoi provoquer une certaine méfiance, quant à la lecture d’un tel ouvrage. Et puis, ce que l’on découvre dans ces pages s’avère d’une grande pudeur et d’une force émotive intense. Après tout, au-delà des discussions de salon, animées par des gens plein de vie et bien portant sur l’euthanasie, n’est-il pas important d’écouter ce qu’a à en dire un acteur placé au cœur même de cette question ? Il n’est guère nécessaire de présenter l’auteur : Vincent Humbert était un jeune homme de 22 ans, tétraplégique, aveugle et muet depuis trois ans, mais lucide et donc capable de mesurer le poids de la souffrance, de l’isolement et de la non-existence : « il y a des jours, j’aurais préféré ne pas avoir retrouvé ma tête, pour ne pas penser à tout ce à quoi je pense dans la journée et dans la nuit. » explique-t-il. Son livre parle tout d’abord de « l’avant » : ses souvenirs d’enfance, son engagement comme pompier volontaire, son accident de la circulation et l’acharnement mis à le sauver. Et puis, il y a ce qu’il est devenu. Evoquant les infirmières qui viennent le retourner tous les trois heures, il explique : « si elles savaient qu’au bout de dix minutes déjà, je n’en peux plus, que j’ai envie de bouger, que j’ai mal partout, que j’ai des crampes, que je peine à respirer, que j’ai envie de quitter ce lit, cet endroit, cette chambre sordide » Pourtant, Vincent Humbert n’est pas seul. Sa mère a vécu quotidiennement à ses côtés, abandonnant son travail pour venir loger à proximité du centre hospitalier où son fils est accueilli. Un espoir fou est né du rétablissement d’une communication que rien ne laissait présager. La méthode est à la fois simple et pathétique : quand on énonçait lentement et à haute voix l’alphabet, Vincent Humbert exerçait une pression de la main quand la lettre qu’il désirait était évoquée. Les lettres sélectionnées formaient des mots, puis des phrases qu’il fallut plusieurs mois pour rendre compréhensibles. C’est par ce moyen qu’il adressa une lettre au Président de la République et écrivit son livre. Quand toute perspective d’amélioration s’est évanouie, sa demande est devenue claire et déterminée : il voulait qu’on l’aide à en finir avec ce qu’il considérait comme une non-vie. « Je suis mort depuis le jour de mon accident » proclamait-il à qui voulait bien l’écouter. Ni la sollicitude de sa famille, ni la bienveillance du personnel médical, ni les centaines de lettres de compassion et d’encouragement reçues ne l’ont fait changer d’avis. On connaît la destinée de Vincent Humbert. Mais pour un malade grabataire qui aura réussi à faire respecter sa volonté, combien continueront à souffrir dans l’indifférence et l’oubli ?

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°685  ■ 06/11/2003