Dictionnaire des idées reçues sur la drogue

Sous la direction de Patrick Piro, Syros, 141p, 1995

La question de la toxicomanie a beaucoup de mal à se débarrasser dans notre pays de cette mélasse qui lui colle à la peau depuis de nombreuses années. Diabolisation, hystérie collective, aveuglement, irrationalité président au débat refoulant au loin toute raison.

Notre société s’est habituée culturellement bon an mal an aux 50.000 morts liés à l’alcoolisme, aux  60.000 décès dus au tabagisme et aux tranquillisants qui gardent sous leur emprise le quart de la population. Cela n’émeut pas grand monde. Par contre ce qui terrorise et fait trembler l’opinion publique, c’est la dépendance à l’héroïne qui touche 160.000 personnes et en tue 600 par surdose et ces 8% de la population qui avouent avoir déjà touché au shit (substance reconnue sans effet de dépendance ni de risque sanitaire majeur).

Aussi convient-il de saluer toute parution qui se propose, loin de l’hypocrisie qui perdure, de donner un éclairage sur cette question encore très controversée. L’ouvrage proposé ici en fait partie. Il se présente sous la forme d’une soixantaine d’articles signés par les meilleurs spécialistes. Toute une série d’idées reçues se trouve ainsi examinée de près.

On lira avec intérêt les rappels concernant l’organisation mondiale de l’économie qui après avoir ruiné les cultures traditionnelles des pays du sud leur ont laissé comme seule possibilité de s’en sortir la culture de la feuille de coca et du pavot. Mais dans le commerce des drogues, il ne faut pas imaginer un Sud tout puissant. C’est le Nord qui domine le trafic mondial des substances psychotropes, les principales firmes produisant l’alcool, le tabac et les médicaments appartenant aux pays riches.

Justice est faite aussi, une fois de plus, de la notion d’escalade: vous savez cette affirmation qui veut qu’après le pétard, on chercherait des sensations toujours plus fortes et on continuerait alors avec la piquouse ! Les statistiques montrent au contraire que seulement 5% des consommateurs de hachisch passent aux drogues dures. Pour autant 95% des héroïnomanes ont commencé par fumer un joint. Cette contradiction apparente se résout facilement en étendant ce raisonnement au domaine de l’automobile: « 100% des accidentés de la route étaient dans une voiture » n’implique pas que tous ceux qui prennent leur voiture vont avoir un accident !

On a coutume de parler de l’immense pouvoir de corruption des narco-trafiquants qui s’attaquent directement aux appareils d’Etat. En fait, c’est la faiblesse de la démocratie et les régimes dictatoriaux qui favorisent les trafiquants et non ces derniers qui minent les démocraties régies par l’état de droit.

Autre idée reçue: la consommation de drogue ne serait plus poursuivie en justice. En 1991, 11.500 condamnations ont été prononcées au motif d’usage de drogue (dont 4.400 peines de prison ferme). La logique du tout répressif a beau avoir démontré sa totale inefficacité, elle n’en reste pas moins vivace.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°354 ■ 23/05/1996