Pitié pour les hommes. L’euthanasie: le droit ultime

LABAYLE Denis, Stock, 2009, 210 p.

C’est un vrai coup de colère que pousse Denis Labayle, ce médecin hospitalier à l’origine du manifeste signé en 2007 par 2.000 soignants qui reconnaissaient avoir aidé des malades à mourir, en fin de vie. Trop d’hypocrisie, trop de procès d’intention, trop de politiquement correct et d’humainement incorrect sur ce dossier de l’euthanasie. Convenant des avancées de la loi de 2005, il lui reproche toutefois de ne pas avoir répondu aux attentes, en allant jusqu’au bout. Certes, l’opposition à l’acharnement thérapeutique qu’elle proscrit dorénavant représente une première attaque du dogme absolu du respect de la vie à tout prix. Tout comme la possibilité donnée au malade d’exprimer sa volonté constitue une indéniable conquête sur la toute-puissance médicale. Les piliers du temple ont commencé à vaciller. Mais ce texte s’arrête au seuil de ce délai de non vie qu’impose le « laisser mourir ». « Où est la différence d’intention philosophique entre prendre un médicament qui aide à mourir et arrêter un traitement qui maintient en vie » s’écrie-t-il (p.134). Quelle éthique que celle qui propose la transformation d’un être humain en squelette déshydraté, perdant toute dignité et laissant à son entourage le terrible souvenir d’un corps martyrisé. Non, ceux qui prônent l’aide active au départ ne sont ni des criminels, ni des assassins. Non, ceux qui demandent à partir ne sont pas systématiquement des déprimés qui s’ignorent ou des malades psychologiquement fragiles à qui il suffirait d’accorder toute l’écoute nécessaire pour voire disparaître les demandes. Oui, se voir dépérir, être de plus  en plus dépendant, constater que son corps ne peut plus répondre, perdre ses sens, ses fonctions sphinctériennes, se savoir proche de sa fin, sans connaître les conditions de son agonie, découvrir dans le regard des autres le reflet de sa propre angoisse représentent un ensemble de souffrances que ni les anti-dépresseurs, ni les psychothérapies ne permettent forcément d’effacer. Oui, chacun doit pouvoir décider de continuer malgré tout ou d’estimer qu’au-delà d’une certaine limite la vie ne vaut plus la peine d’être vécue et qu’elle représente dorénavant moins d’attrait que la mort. Et Denis Labayle, de proposer à ses détracteurs de rester rien qu’une petite semaine étendus sur le dos, sans pouvoir bouger leurs membres, un bandeau sur les yeux, les oreilles bouchées et pour se nourrir une petite sonde d’alimentation dans la narine gauche... mais avec des sédatifs, un kinésithérapeute et un soutien psychologique ! Cette petite expérience leur ferait peut-être sortir de leur surdité idéologique. Le droit à une mort choisie et à un départ planifié plutôt qu’une mort subie et un départ incertain et angoissant constitue l’une des dernières libertés majeures qui reste à conquérir.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°936 ■ 09/07/2009