Bizutage et barbarie
Bernard LEMPERT, éditions Bartholomé (16 passage Gatbois 75012 Paris), 1998, 155 p.
“ Puisque les pratiques de bizutage ne donnent pas dans la dentelle, nous n’envisageons pas de les traiter avec des pincettes ” explose Bernard Lempert dans son préambule. Et l’on constate aisément tout au long des pages ce qu’annonce l’auteur : à l’artillerie lourde il oppose l’artillerie lourde !
“ Le bizutage est une véritable culture du viol ”, il n’est “ rien d’autre qu’une socialisation de la perversion ”, “ un avatar récurrent de la barbarie ” etc …
De quoi s’agit-il ici ? Serait-ce de braves et bons vivants devenus de pauvres victimes harcelés par des rabat-joie qui méprisent les rites communautaires, s’attaquent à la tradition et à des valeurs ancestrales ?
Ne retrouve-t-on pas plutôt chez les partisans du bizutage les réflexes propres aux familles incestueuses ?
Le crime est justifié : “ chez nous, c’est comme ça, et ça a toujours été comme cela. On n’en est pas mort. Au contraire, ça ressoude le groupe. ”
Le crime provoque la reproduction transgénérationnelle. C’est la terrible identification à l’agresseur. Celui qui a subi va reproduire sans état d’âme : le meilleur moyen de ne pas se souvenir qu’on a été broyé, c’est d’écraser son prochain.
Le crime se perpétue en toute impunité, comme s’il bénéficiait d’une sorte d’état d’exception dans l’Etat. “ Il faut que jeunesse se passe ! ” prétendent les plus indulgents. C’est plutôt la vieillesse de la pensée qui s’impose entraînant dans son sillage son cortège de tortures et d’inhumanité.
“ Appeler la violation de l’intimité une libération de l’esprit, appeler l’expression d’un pouvoir arbitraire sur le corps d’autrui l’apprentissage des responsabilités, tout cela revient à faire disparaître le monde tel qu’il est pour lui substituer cette lecture péremptoire qui n’est rien d’autre que la lecture du plus fort. ” Car de quoi s’agit-il sinon de méthodes archaïques de domination, de pratiques sacrificielles : si les “ nouveaux ” sont victimes de la violence des anciens, ces derniers restent esclave de la force. Au grand jeu de la destruction, seule la destruction finit par occuper le terrain.
Depuis l’édition de cet ouvrage, la loi est venue sanctionner le bizutage, menaçant non seulement ses auteurs, mais aussi la société des adultes qui se complairait à la tolérer. Une campagne est venue expliquer l’application de la loi. Notre vigilance reste néanmoins nécessaire pour traduire et confirmer dans le temps l’éradication de telles pratiques rétrogrades.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°462 ■ 12/11/1998