L'enfance violentée
Brigitte CAMDESSUS et Michel C. KEINER, ESF, 1993, 175 p.
Cet ouvrage consacré à la violence subie par 1’enfance se présente en 2 volets : l'un est tourné vers le passé, l'autre vers le présent.
C'est Michel C. Keiner qui ouvre le feu. Le tableau qu'il nous dresse nous permet de mesurer le chemin parcouru depuis un siècle, au moins dans les pays développés, car les descriptions faites ne sont pas sans rappeler les réalités du tiers-monde d'aujourd’hui.
Pauvreté, logements insalubres. Corps épuisés, hantise du lendemain, résignation, tel est le cadre qui pour avoir été mille fois décrit permet malgré tout de mieux resituer le sort jusqu’ au début du XXème siècle d'une enfance dont le lot commun n'est pas vraiment la tendresse.
Le ciment de la cellule familiale, c'est alors la soumission de l’enfant à l'autorité des parents. Tout est fait pour dresser sans concession cet être dont la tendance naturelle va à la paresse et au vice.
La vie est rude, le sort réservé à l'enfant ne l'est pas moins : mort précoce fréquente d'un des parents ( 1 enfant sur 2 est orphelin a 15 ans, infanticide, placement très tôt en nourrice entraînant une forte mortalité, mise au travail dès 5-10 ans limite qui recule a 10-12 ans à la fin du XIXe siècle)... Dans ce contexte pour le moins sordide, l'appareil judiciaire frappe l'individu qui n'a pu maîtriser la subtile limite qui sépare le tacitement accepté du nécessairement réprouvé ; autant dire que la maltraitance des enfants n'est abordée que dans la mesure ou elle est trop voyante ou quelle est allée trop loin !
Brigitte Camdessus se consacre quant à elle à la violence d'aujourd'hui.
C'est un véritable tour d'horizon auquel elle procède. Après avoir abordé le contexte juridique et administratif du problème, c'est toute la dynamique familiale qui est étudiée de près : les caractéristiques de la violence, les éléments de dysfonctionnement provoquant cette violence, la configuration tant des familles maltraitantes que de l'enfant maltraité ainsi que les conséquences a long terme entraînées par cette situation (traces indélébiles et altérations durables de la personnalité).
Passage tout particulièrement intéressant, celui consacré à la pratique québécoise de l'intervention psychosociale dans le traitement familial de l'inceste. Lorsque c'est possible et pour ce faire, il faut que le coupable reconnaisse au préalable, sa culpabilité : une telle intervention permet de restaurer l’intégrité physique et morale de la victime, sans pour autant briser la famille. C'est là une alternative judicieuse aux lourdes procédures judiciaires qui; trop souvent transforment la victime en coupable, désignée comme telle par une famille en plein désarroi après l'incarcération du père.
En 175 pages seulement, ce livre se présente comme un inventaire concis et synthétique d'une réalité qui mériterait d'autres, développements que l'on peut trouver ailleurs.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°255 ■ 07/04/1994