Soin de la violence, violence du soin

Actes des Journées d’étude et de réflexion de l’Unité de formation et de Recherche de la Fondation Pour l’Enfance 1997, 139 p.

S’il est un thème qui intéresse plus particulièrement depuis quelques temps les différents partenaires du combat contre l’enfance maltraitée, c’est bien cette victimisation secondaire qui provoque une seconde phase de souffrance et de traumatisme après la révélation des violences subies. La fondation Pour l’Enfance a proposé le 14 juin 1996 un colloque sur cette question. Le renouvellement de l’abus peut prendre bien des formes. C’est le cas lorsque l’enfant devient l’enjeu de différentes institutions qui cherchent bien au-delà de sa souffrance à imposer chacune sa propre logique. Cela se déroule aussi quand l’interlocuteur adulte utilise la victime pour s’affirmer comme le « bon objet » (en se faisant accusateur du parent abuseur sans tenir compte de la place que celui-ci occupe dans l’histoire et le coeur de l’enfant). C’est encore la personne chargée de l’enquête judiciaire qui, de par sa non-expérience ou  sa maladresse, blesse ou met en doute la parole de l’agressé. Et puis, il y a cette énorme culpabilité qui pèse sur les épaules de celui ou de celle qui a dénoncé son parent. Sa famille peut alors lui renvoyer la responsabilité du sort réservé à l’agresseur. Au moment du procès en cas de condamnation, il est fréquent que la victime se sente fautive de la peine décidée par les magistrats. On n’oubliera pas le poids considérable qu’a pu exercer sur des générations d’intervenants, le choix effectué par Freud en 1897 concernant le renoncement à sa conviction de l’inceste passé à l’acte comme origine des pathologies de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte qu’il va devenir. A l’inceste agi par perversion de l’adulte, il préfère l’inceste comme désir, concept qui se situera au centre du complexe d’Oedipe. L’agression sexuelle deviendra alors pendant des décennies un fantasme de l’enfant à qui l’on attribuera une « perversion polymorphe ». Les campagnes de sensibilisation des professionnels ont permis en quelques années de tripler les cas diagnostiqués. Mais, aujourd’hui, ce sont les moyens qui ne suivent pas les progrès considérables des connaissances et compétences acquises dans ce domaine. Les réponses socio-éducatives continuent parfois encore à considérer l’enfant non comme sujet mais comme objet de son histoire: certaines violences décisionnelles perdurent notamment en ce qui concerne les séparations sans préparation lors des changements de placements en institutions ou en familles d’accueil. Pour autant, si la violence entraîne le soin, le soin ne pourra jamais éviter une certaine violence, celle de la réactivation des meurtrissures, de la coupure angoissante avec la confusion et celle de l’acceptation de pertes constructives qui font inévitablement partie de toute thérapie.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°404 ■ 26/06/1997