Des sanglots secs

Victor SAGEOT, Fixot, 1997,  295 p.

La vie ne serait-elle qu’un éternel recommencement ? C’est la question que se pose nombre de professionnels confrontés à la douloureuse question de la reproduction transgénérationnelle. Il est, en effet, parfois terrifiant de constater que des années d’efforts et d’énergie n’ont abouti qu’à un renouvellement des comportements et attitudes, les enfants recommençant les mêmes dérives que celles manifestées par leurs propres parents.

Sauf que souvent, le problème est posé à l’envers.

Ce n’est pas parce que ses géniteurs ont agi d’une manière donnée, qu’on les imite obligatoirement. Si l’on adopte les mêmes réactions désastreuses, c’est uniquement parce qu’on n’a pas réussi à se libérer des conditionnements familiaux. Les psychologues expliquent alors qu’il s’agit pour l’enfant devenu adulte de ne pas condamner et au contraire de justifier ses parents. Mais un tel processus n’a rien d’une fatalité. Ceux qui s’en sont sortis ne font plus parler d’eux. Restent ceux qui « replongent » et donnent alors l’impression d’un automatisme dans la reproduction ...

Le récit de Victor Sageot est à ce propos représentatif. Issu d’une famille dominée par une figure maternelle abusive (qui semble la synthèse entre Tatie Danielle et Folcoche), il aurait pu à son tour devenir persécuteur. Il en prend bien le chemin quand il tombe « par hasard » amoureux d’une femme dont il ne s’aperçoit pas tout de suite -du moins d’une manière consciente (le psychanalyste qu’il est devenu aurait matière à s’interroger sur de telles circonstances)- qu’elle s’identifie étonnamment à l’image de sa mère. C’est à la naissance de son fils que la vérité apparaît: sa femme ne ressent que dégoût, rejet et aversion pour cet être à peine sorti de son sein.

Commence alors une prise de conscience, violente parfois, indignée toujours. Lorsque Victor Sageot écrasera sur le visage de sa femme la couche souillée que celle-ci avait placé sur la tête de leur enfant « pour lui apprendre la propreté », on ne sait qui par ce geste est fustigé: sa femme ou sa mère ?

Le récit est enlevé et fort bien écrit. Il se lit avec intérêt. On suit l’auteur dans son enfance commencée avant-guerre, dans ses premiers émois amoureux largement perturbés par le courroux maternel, puis dans son itinéraire professionnel. Véritable fuite permettant de se mettre à l’abri: l’expatriement en Afrique où il exerce de nombreuses années comme médecin. Enfin, viennent les déchirements d’un divorce dont la principale victime se trouve être l’enfant. La stabilisation enfin, qui permet d’avancer plus sereinement dans la vie et ... d’en faire un bouquin !

C’est vrai que l’auteur se donne le beau rôle et n’accorde guère de circonstances atténuantes à ces deux « mauvaises mères » qui ont pourri sa vie.

Reste cette réaction salutaire qui démontre que l’on peut réagir et refuser de se soumettre à un destin qui semblait en apparence inscrire comme inévitable la succession de la maltraitante de père en fils.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°395 ■ 24/04/1997