Violences urbaines - ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de la politique de la ville
Christian BACHMANN, Nicole LEGUENNEC, Albin Michel, 1995, 557 p.
Ce volumineux ouvrage de près de 560 pages se présente comme une véritable traversée de la France de la deuxième moitié du XXème siècle. On y retrouve les acteurs et les événements qui, dans toute cette période, ont été concernés par la question urbaine.
Il en va ainsi des mouvements de squats qui animent des villes comme Marseille ou Angers jusqu’à la fin des années 40, mais aussi l’association des Castors qui propose aux ouvriers de construire eux-mêmes et dans un esprit communautaire leur maison, sans oublier l’« insurrection de la bonté » menée un certain hiver 1954 par l’Abbé Pierre. Les mouvements de résistance des années 60-70 aux « rénovations-déportations » des centres des grandes villes ne sont pas oubliés (y compris dans leurs inspirations que constituent les communautés d’Amsterdam et les expériences italiennes du type Bologne). Les actions autogestionnaires des Groupes d’Action Municipale ou de quartier comme celle de l’Alma-Gare à Roubaix (à l’origine des régies de quartier) trouvent aussi leur place dans ces pages. On n’oubliera pas le DAL qui défraie la chronique dans la décennie 90 comme porte-parole et défenseur des mal-logés.
C’est toute l’histoire du logement des cinquante dernières années qui est ici retracée. Les énormes dégâts dus à la guerre (1.500.000 destructions partielles, 500.000 totales), le bond du taux de natalité (18 pour mille de 1946 à 1964), l’exode rural massif (100.000 personnes en plus chaque année dans les villes) ont rendu très vite cruciale la nécessité de logements. En 1950, le besoin est évalué à 2.315.000. Pourtant rien ne sort de terre. A cela plusieurs raisons. Il y a d'abord l’immobilisme et l’archaïsme des entreprises de bâtiment. Mais il y a surtout le refus d’engagement de l’Etat. C’est vrai qu’il a mieux à faire. La guerre d’Indochine lui coûte 3.000 milliards de Francs soit l’équivalent du plan Marshall (qui dans le même temps permettra à l’Allemagne pourtant bien plus détruite de se reconstruire). Mais surtout ce qu’il met en avant, c’est l’initiative privée. Or le blocage des loyers est peu propice à l’investissement: de 1938 à 1949, si les prix ont augmenté de 400%, les loyers se sont accrus quant à eux de 30%. La loi de 1948 viendra donc sortir les nouvelles constructions de l’encadrement réglementaire et les hostilités cessant en extrême Orient, le bâtiment prend son essor passant de 81.390 constructions en 1952 à 263.750 en 1954.
Mais il ne s’agit pas simplement de proposer de nouveaux hébergements. Ce dont il est question, c’est au travers de l’habitat de redresser le pays, de cadrer l’individu et de transformer ses comportements. Diabolisant le pavillon individualiste et petit-bourgeois, s’imposent la normalisation et l’uniformisation. Sortent alors de terre des barres toujours plus hautes et toujours plus denses répondant à la hausse du prix du foncier. La quantité prime sur la qualité au rythme de 550.000 unités par an en 1971. « Pont, ruisseau, champ, passage et impasse » disparaissent du vocabulaire au profit de « dalle, coursive, espace vert, desserte, voie principale, échangeur et parking ... ».
Certes, pour celui ou celle qui a vécu le temps des taudis avec son cortège de boue, d’amas d’ordure, ses risques permanents d’incendie ou d’asphyxie ou au mieux le logement avec WC sur le palier et l’eau froide l’hiver comme l’été, le changement est grisant. Mais très vite le nouveau mode de vie laisse un goût amer qui se nomme chômage, délinquance, échec scolaire. Les années 80 se soldent par les premières explosions urbaines. Des dispositifs tenteront d’y répondre: mission locale, DSQ, ZEP, CCPD ... sans d’autres succès que de multiplier les quartiers dégradés et d’inspirer à un sociologue comme Touraine l’analyse d’un fossé entre exclus et intégrés venant supplanter la lutte des classes. Que nous réserve l’avenir ? Ces conflits urbains déboucheront soit sur de nouveaux mouvements sociaux moteurs de l’action publique soit sur des revendications identitaires.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°365 ■ 19/09/1996