Gennie - Histoire d’une enfant victime de son père et de la science
Russ Rymer, Robert Laffont, 1994, 272 p.
Voilà un titre bien accrocheur, pour ne pas dire un peu racoleur. La lecture de ce livre ne manque pas de laisser une drôle d’impression due à la façon dont il est rédigé. On pourrait presque rajouter au titre: « ... et des journalistes ». En effet, Gennie semble tout au long de l’ouvrage le prétexte à des digressions qui éloignent notablement de la destinée de cet enfant. Non que les biographies de chercheurs, présentations de diverses théories scientifiques ou descriptions historiques ne soient pas parfois passionnantes, mais on pourrait émailler le texte de dizaines de « mais revenons donc à l’histoire de Gennie »...
De quoi s’agit-il ?
Gennie est une enfant qui a vécu jusqu’à l’âge de 13 ans en passant du harnais qui l’immobilisait sur une chaise (comportant en son centre un pot hygiénique) à une camisole de force qui la maintenait bloquée dans un berceau (dont les côtés et le dessus étaient grillagés). Toute manifestation de bruit provoquant la colère de son père, elle prit l’habitude de se taire. Les seules stimulations visuelles et tactiles qui lui étaient apportées consistaient en une boite de fromage vide et quelques bobines de fil. Son père la nourrissait en lui bourrant la bouche d’aliments pour bébé. Quand elle régurgitait, il lui étalait ce qu’elle avait rejeté sur le visage. C’est finalement une dispute entre ses parents et le départ de la maison avec sa mère qui déclenchèrent l’alerte. Ses tortionnaires furent emprisonnés et elle-même hospitalisée.
Dès cet instant, Gennie devint l’objet d’enjeux à la fois scientifiques et financiers. De nombreux linguistes essayaient alors d’éclaircir le débat sur les conditions d’apparition et de développement du langage. Pour les uns, les enfants n’apprennent pas les phrases dont ils connaissent la structure de façon innée. Ce n’est que les mots qu’ils assimilent par l’expérience. Pour les autres, tout au contraire, seule l’éducation peut permettre l’assimilation du langage. Gennie venait à point nommée pour permettre de trancher la polémique, elle qui n’ayant jamais pu acquérir la parole, allait permettre d’en découvrir le processus. De fait, en cinq années, elle devint l’enfant la plus testée dans l’histoire de la science: à certaines époques jusqu’à 60 à 70 heures par semaine. Les progrès qu’elle manifesta en matière de communication non verbale, de dessins et de mots furent importants. Mais jamais, elle ne put assimiler syntaxe et grammaire. Sa curiosité, sa soif d’ouverture sur le monde se heurtèrent aux déroulements de carrière des chercheurs et à l’obtention de bourses et subventions qui obligeaient à ce qu’elle reste curiosité de laboratoire et objet d’expérience. En bénéficiant de l’affection et de l’attention désintéressée, peut-être aurait-elle pu émerger de son monde. Tout au contraire, elle se renferma sur elle-même et se réfugia dans des comportements régressifs seuls à même de la protéger ... pour finir à l’âge adulte en asile psychiatrique.
Jacques Trémintin – Septembre 1995 – Non paru