arents toxiques, comment échapper à leur emprise

Susan Forward, Stock, 1992

En marge de la journée d’étude organisée par Lien Social et le CREAI sur le travail avec les familles, un livre qui prend un peu le contre-pied de « l’air du temps » en rappelant comment « aussi » les familles peuvent être pathologiques...        

Susan Forward, psychothérapeute américaine a soigné de puis de nombreuses années beaucoup d’adultes victimes d’une éducation abusive et nocive. Tout au long de cet ouvrage, elle présente son expérience et ses méthodes de soins qu’elle illustre de multiples exemples concrets.

Elever un enfant n’est guère chose facile. Tout parent manifeste inévitablement des déficiences occasionnelles. Les tâches sont importantes: satisfaction des besoins matériels du petit d’homme, protection contre tout dommage physique et émotionnel, réponse à ses aspirations en matière d’amour et d’attention, cadre moral nécessaire à son équilibre psychique ... Les parents que l’auteur nomme « toxiques » ne respectent la plupart du temps que la première de ces exigences. L’emprise perverse qu’ils manifestent par contre peut prendre bien des formes. C’est d’abord l’attitude dominatrice qui écrase toute velléité  d’autonomie de l’enfant. C’est aussi l’alcoolisme qui écrase la cellule familiale paralysant et bloquant chez l’enfant toute vulnérabilité, confiance et ouverture d’esprit qui sont pourtant si importants dans la relation tant amoureuse qu’amicale. Ce sont encore ces violences verbales, insultes et humiliations qui dévalorisent tant l’enfant en lui faisant perdre confiance en lui.  Les sévices corporels justifiés pour « son bien»  annoncent un adulte à la colère et à la rage rentrés qui explosera à tout propos. L’inceste enfin, suprême trahison qui transforme des protecteurs en persécuteurs fait basculer l’enfant dans la terreur et la culpabilité.

Tous ces agissements traumatisants poursuivent l’individu sa vie durant, perturbant ses relations professionnelles, affectives et familiales. Susan Forward proclame haut et fort qu’il peut changer les choses. Il faut pour cela arrêter de jeter un voile pudique sur le passé mais au contraire travailler dessus. Pour ce-faire, il faut tout d’abord renoncer au « devoir de pardon». On peut abandonner l’idée de vengeance, sans pour autant absoudre inconditionnellement ses parents pour le mal qu’ils ont commis. C’est là la condition pour permettre la libre expression de ses émotions refoulées et de sa légitime colère. Il faut donc établir clairement les responsabilités au lieu de chercher mille excuses. Cette préparation  amène inéluctablement à la confrontation. Il ne s’agit pas d’un règlement de comptes, mais de permettre à l’enfant devenu adulte de vivre avec ce passé douloureux: « Voici ce que tu m’as fait/  Voici ce que j’ai éprouvé à l’époque/ Voici quel effet cela a produit sur ma vie/ Voilà ce que j’attends de toi à présent » Tel est le programme que  Susan Forward propose à ses patients de suivre dans une confrontation qui peut être orale ou écrite. La réaction n’est jamais simple. Elle peut même être vive: après tout les parents seraient-ils toxique s’ils ne manifestaient pas de la résistance. Durant toute cette procédure, la personne est accompagnée psychologiquement dans ce qui peut être soit un travail de réconciliation, soit un travail de deuil de la possibilité d’évolution et de changement des parents.

« Ce que vous ne renvoyez pas à l’expéditeur, prévient l’auteur,  vous le faites suivre». Le travail de retour sur le passé est donc un moyen indispensable de rompre avec le processus de reproduction intergénérationnel de la maltraitance.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°310 ■ 08/06/1995