Les séparations à but thérapeutique
Maurice Berger, Privat, 1992, 224 p.
En marge de la journée d’étude organisée par Lien Social et le CREAI sur le travail avec les familles, un livre qui prend un peu le contre-pied de « l’air du temps » en rappelant comment « aussi » les familles peuvent être pathologiques...
Maurice Berger, chef de service en psychiatrie de l’enfant, aborde ici un sujet qui lui tient à coeur et qui « parle » bien aux travailleurs sociaux, à savoir, la séparation de l’enfant d’avec ses parents. Non pas le départ à l’école, en colonie ou chez les grands-parents, mais bien la séparation inhérente aux incapacités partielles ou totales, temporaires ou définitives des parents en matière éducative.
Voilà: le tabou est bousculé, le mot est lâché: il arrive non seulement que la séparation s’ impose mais aussi que la suspension prolongée de tout contact soit une condition indispensable à l’ équilibre psychique de l’ enfant. Une telle afirmation s’oppose de front à cette idéologie du lien pour laquelle mieux vaut une mauvaise famille qu’une famille d’accueil ou une institution. Pourtant, l’auteur ne se présente pas en « briseur de famille ». Il commence par nous faire suivre son propre itinéraire. Il énumère tous les argumentations qu’il lui a fallu dépasser pour se convaincre de la nécessité de la séparation dans certains cas: peur de la décompensation psychique des parents, crainte qu’une nouvelle conception vienne combler le vide ainsi créé, illusion que la thérapie puisse aboutir sans être étayée par la garantie d’une réalité fiable et sécurisante pour l’enfant, mégalomanie thérapeutique refusant d’admettre une dysparentalité gravement pathologique, ... Mais ces différentes facettes sont comme autant d’identification aux parents au détriment de la nécessaire identification à la souffrance de l’enfant. Et puis il y a cette propension à ne retenir dans le tableau présenté par les parents que l’enfant imaginaire dont ils parlent fantasmatiquement ou encore l’image du parent tout aussi imaginaire qu’ils arborent. Conséquence d’un tel aveuglement, on confond entre séparation et rupture et on est aveugle au non-investissement de l’enfant par ses parents et sourd à la réalité de l’enfant qui ne peut dans la situation du moment bénéficier de la rencontre, mais qui le pourrait éventuellement ultérieurement.
A l’aide de nombreux exemples dont certains donnent vraiment froid dans le dos, l’auteur explicite d’une manière très claire ses convictions: un certain nombre d’adultes sont rendus littéralement malades psychiquement par le fait d’avoir un enfant qui va réactiver (à son corps défendant) leurs propres sentiments de désorganisation et d’angoisse qui datent de leur propre jeunesse. La séparation devient dès lors l’unique moyen de sauver l’enfant de graves difficultés psychiatriques et intellectuelles. L’indication d’une reprise de la vie commune ou des contacts sera alors liée non à l’état de l’enfant hors de son milieu pathogène, mais bien les éventuelles modifications des capacités éducatives parentales.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°310 ■ 08/06/1995