Sans père, ni repères...
Catherine LEHOUX-FLEURY, éditions Bouchène, 2003, 97 p.
Il est des destins qui peuvent paraître, au premier abord, marqués par le sceau de la fatalité, l’idée d’une reproduction intergénérationnelle quasi-automatique de la maltraitance restant encore vivace. Pourtant, si l’on sait qu’il est possible d’échapper au pire, trop souvent les seules illustrations qui émergent sont celles de la perpétuation du malheur. C’est parce qu’il démontre le contraire, que le récit de Catherine Lehoux-Fleury est si précieux. Ce qu’elle nous décrit de son histoire n’étonnera guère les professionnels, si souvent confrontés au parcours douloureux de tant d’enfants et d’adultes qu’ils accompagnent. Son destin ne pourra que les rassurer sur la pertinence de l’espoir d’une sortie de l’enfer. De ce que l’auteure est devenue, on ne saura que peu de choses : « écrire sur le bonheur, c’est le dépecer. Donc je ne le ferai pas. On efface ses souffrances, parfois, en en parlant. Mais le bonheur est précieux. Je le garde au fond de moi. » Elle préfère consacrer son livre aux terribles épreuves qu’elle a traversées et qu’elle présente d’une manière qu’on peut penser cathartique. Elle fait remonter l’origine de sa souffrance à sa grand-mère, née sous césarienne en 1916, et laissée pour morte, avant de revenir miraculeusement à la vie. Méprisée et persécutée par sa propre mère, sous les yeux passifs de son père (selon un scénario qui fait penser à « Vipère au poing » d’Hervé Bazin), Madeline réussira à inverser l’héritage maudit et à devenir une mère aimante et protectrice. Sa propre fille Marianne, handicapée mentale, plonge, à l’âge adulte, dans une vie chaotique, faite d’une multiplication de grossesses et de relations conflictuelles avec un conjoint alcoolique et violent. C’est dans ce contexte que naît Catherine Lehoux-Fleury. Elle connaîtra une enfance faite d’humiliation et de honte. Bonne élève, elle cesse d’apprendre pour ne pas faire de l’hombre à sa mère illettrée. Ses premières expériences affectives de jeunes adultes, elle les fait auprès d’un homme alcoolique et violent. Battue dans des conditions particulièrement atroces, elle ne réagit pas, comme prisonnière d’un destin qui lui semble inéluctable. Pourtant, deux personnes vont jouer un rôle essentiel dans son redressement. Sa grand-mère Madeline tout d’abord, qui lui apportera tout au long de son enfance, ce supplément d’amour indispensable à la survie psychique d’un enfant. L’une des rares personnes, ensuite, qu’elle décrit comme lui ayant parlé d’une manière douce et respectueuse et qui l’a encouragée à poursuivre une formation professionnelle : « je sais aujourd’hui que ce formateur hors-pair m’a fourni sans le vouloir une aide précieuse. Je le voyais comme un père, venu rééquilibrer une famille bancale et me sauver de l’enfer d’une mère » Ces deux « tuteurs de résilience », comme les nomme Boris Cyrulnik, auront pu servir de point d’appui dans une renaissance qui permettra à Catherine Lehoux-Fleury de s’en sortir, démontrant avec superbe qu’il reste toujours quelque chose à faire.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°688 ■ 27/11/2003