Outreau, la vérité abusée: 12 enfants reconnus victimes

GRYSON-DJEHANSART Marie-Christine, éditions Hugo & Cie, 2009, 263 p.

« Madame Gryson, vous êtes une femme malhonnête » La cinglante attaque de l’avocat claque dans la salle des assises de Saint Omer, comme une atteinte insupportable à l’honneur et à la probité de la principale experte psychologue de l’affaire d’Outreau. La réponse arrivera cinq ans après, à travers ce livre dont la profonde honnêteté s’inscrit comme un démenti convainquant de cette perfide accusation. Patiemment et sereinement, Marie-Christine Gryson-Djehansart reprend les éléments du procès qui a défrayé la chronique de ce début de millénaire. Que l’on partage ou non son argumentation, on ne peut que reconnaître le sérieux et la qualité d’une démarche qui apporte un éclairage et une prise de distance qui ont beaucoup manqué dans une affaire où le lynchage médiatique contre les experts s’est très vite substitué au lynchage des accusés. On peut volontiers la suivre sur un certain nombre de points. Que ce soit l’amnésie qui a fait disparaître la souffrance des mineurs derrière celle des acquittés : tout l’espace victimaire a été envahi par les 13 adultes accusés à tort, les 15 enfants pourtant reconnus comme victimes de viols s’effaçant progressivement des consciences. Que ce soit le déséquilibre en matière de contradictoire : l’absence de toute communication de la part du Conseil général en charge de l’intérêt des victimes et le bâillonnement des témoins (les professionnels étant tenus au devoir de réserve) ont privé de tout témoignage venant exprimer publiquement la souffrance des victimes et exiger que justice soit faite. Que ce soit le rapport totalement inéquitable entre les 19 avocats de la défense en ordre de bataille, toujours en mouvement face aux deux conseils des enfants. Leur mise en scène efficace maniant la voix, le geste, le maintien de l’attention suspendue au regard et au jeu de manche, le discours fascinant, la colère empathique conjugués à la fatigue, à la chaleur, à l’émotion et à la confusion de tous les repères ont provoqué un stress et une dramatisation incommensurable, a réussi à déstabiliser et à plonger dans la confusion. Mais on ne peut suivre l’auteur, quand il évoque la construction d’une vérité qui tendrait à se généraliser à propos d’« enfants qui mentiraient toujours en matière d’agression sexuelle ». Le procès d’Angers a démontré que la crédibilité de ses 45 petites victimes face aux 70 adultes accusés de les avoir violées peut être établie, même après Outreau. L’auteur défend avec talent ses expertises, expliquant que jamais un enfant qui feint ou affabule ne réussit à reproduire artificiellement les impacts traumatiques qui sont identifiables à travers toute une batterie de tests. S’il n’y a que l’Abbé Wiel, l’un des accusés finalement innocentés, pour prétendre d’une manière aberrante que les enfants auraient menti, quand ils ont accusé leurs parents (qui pourtant ont reconnu leur culpabilité et ont été condamnés à 20 et 15 années d’emprisonnement !), on ne peut qu’être dubitatifs sur la remise en cause de l’innocence des acquittés qu’induit Marie-Christine Gryson-Djehansart. Fine, précise, documentée, sa plaidoirie reste inachevée. Quoique  pertinente sur bien des points, elle laisse sur sa faim quant à la question lancinante qui traverse l’esprit tout au long de la lecture : aurait-on donc acquitté des coupables ?

 

Paru dans LIEN SOCIAL ■ n°955 ■ 07/01/2010