La fille dévastée
GUILCHER Rozenn, éditions Sulliver, 2009, 170 p.
Notre société ne tolère guère qu’on ne puisse se sentir en capacité de faire face à son enfant. Tout est mis en œuvre pour favoriser, encourager et aider à la parentalité. Mais il n’y a que deux postures possibles : être un bon ou un mauvais parent. Cette forte pression morale interdit d’avouer et de s’avouer qu’on ne peut apporter ce dont un enfant a besoin pour vivre et qu’il serait bien mieux de passer le relais. Même l’abandon est considéré comme un geste d’amour. On est bien loin d’avoir reconnu, banalisé et intégré le concept introduit en son temps par Bernard Lempert : le désamour (l’impossibilité d’aimer son enfant). Ce sont des ouvrages comme celui de Rozenn Guilcher qui aideront peut-être à y arriver. Dans son premier roman, « La fille dévastée », l’auteure nous ouvre au drame vécu par une mère et sa fille confrontées à cette terrible réalité. Tout commence par un accouchement dans l’isolement, la jeune maman abandonnant son nourrisson dans la neige. Le bébé sera miraculeusement retrouvé par le chien d’un promeneur. Une vie qui commence mal. Malgré les aides et la surveillance exercée, l’existence va devenir un enfer tant pour l’enfant que pour sa mère. Pour la petite fille d’abord, qui grandit enfermée dans les placards, battue et négligée, incorporant la haine dont elle est l’objet quotidien. Mais, pour cette femme aussi, contrainte d’élever un enfant dont elle n’a jamais voulu, devant préserver les apparences, tout en étant consciente du trou béant qu’il y a à la place de cet instinct maternel, qu’on prétend la voire assumer. Quand elle frappe le chat et le laisse se vider de son sang durant trois jours, c’est sans doute pour ne pas le faire avec sa fille. Dans un style résolument moderne, Rozenn Guilcher nous fait passer successivement de l’esprit de l’enfant à celui de sa mère, le morcellement syntaxique venant parfois symboliser l’éclatement de la pensée de l’enfant.