La golf blanche
SITZENSTUHL Charles, Éd. Gallimard, 2019, 209 p.
Les insultes, humiliations et menaces n’étaient suffisantes. Son père y rajouta une implacable violence contre sa mère et l’enfant qu’il était. Le récit de Charles Sitzenstuhl est glaçant, mais combien nécessaire. A chacune des pages de description banale du quotidien familial, on s’attend à ce que surgisse un épisode de fureur. Une vexation ? Un pot de fleurs de travers ? Un objet mal rangé ? Tout était prétexte à un emportement se terminant en coups. L’enfant sait se mettre en boule pour se protéger, vivant dans la hantise de mourir. Après avoir planqué les couteaux de boucher, par crainte que son père ne s’en serve contre lui, il en garde un auprès de lui quand il va dormir, pour se défendre s’il se fait agresser la nuit : « mon père n’était plus mon père. Il était un ennemi » (p.161). La terreur est permanente, même quand son tourmenteur s’est absenté. Et si la famille pratique des sorties sportives, des promenades en forêt ou des baignades en piscine, c’est toujours sous la contrainte et la férule d’un tyran domestique qui les impose, transformant le plaisir potentiel en épreuve de force, en prétexte de persécution et occasion à vexations. Rabaissé en permanence, moqué et injurié, l’enfant se déchaine à l’extérieur, provoquant bagarres et conflits à l’école. Le calvaire prendra fin, quand sa mère divorcera. Ecrit d’une plume habile et précise, ce roman autobiographique est d’une lecture édifiante. S’il entretient l’émotion, il ne tombe jamais dans le pathos. Il se présente bien plus comme l’autopsie d’une enfance gâchée, violentée et rongée par la peur. A défaut de trouver dans l’écriture un moyen de réaliser le deuil d’un père tortionnaire (peut-on s’en remettre jamais ?), Charles Sitzenstuhl nous permet de mesurer ce que peut vivre un enfant victime d’une maltraitance physique et psychologique.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1316 ■ 26/04/2022