L’adolescence n’existe pas. Histoire des tribulations d’un artifice
P. Huerre, M. Pagan-Reymond, J.M. Reymond, Editions Universitaires, 1990, 255 p.
Deux psychiatres et un professeur de Lettres Modernes ont uni leurs efforts pour dénoncer ce qu ’ils considèrent comme le caractère éminemment relatif et artificiel de cet « entre-deux-âges » qui n’a selon eux rien ni d’universel ni d’incontournable.
Le texte est brillant et fort bien documenté. Le concept d’adolescence y est abordé selon de multiples acceptions. C’est ainsi que sont passés en revue les aspects éthologique (l’absence d’adolescence chez les animaux), linguistique (les avatars des mots adolescence et puberté de Rome à nos jours), ethnologique (inexistence de cette classe d’âge dans les sociétés primitives), sociologique (au travers de l’étude du costume) et biologique (la transformation pubertaire). Mais ce qui occupe quasiment les deux-tiers de l’ouvrage, constitue une étude historique de ce phénomène de son émergence dans l’antiquité à ce que les auteurs nomment sa « sénescence » contemporaine, en passant par l’enfance, la période de latence, la puberté et l’âge adulte de cette notion.
Beaucoup d’informations passionnantes dans ce livre sans toutefois qu’il arrive vraiment à emporter la conviction. En effet se placer d’un point-de-vue historico-culturel semble une approche des plus intéressantes. Pour autant, il semble il y avoir ici confusion entre les nécessaires précisions quant aux conditions d’apparition de cette classe d’âge et le fait que ce surgissement progressif lui dénierait tout droit à une existence objective.
Annie Birraux a apporté une réponse possible dans son ouvrage « l’Adolescent face à son corps » (cf. Lien Social n°313) quand elle explique aux pages 44 et 45: « En fait, tout se passe comme si on pouvait contourner l’adolescence dans les sociétés où le corps du jeune est pris en charge collectivement: rôles ou rituels. Spectaculairement, l’adolescence semble en effet n’exister comme fait social seulement que depuis que les rituels initiatiques ou leurs équivalents disparaissent (première communion, conscription, mariage parmi les derniers) »
Dès lors à trop vouloir tordre le bâton dans le sens inverse, les auteurs de « l’adolescence n’existe pas » ne démontre plus grand chose. Ainsi, la montée en puissance de cette classe d’âge à laquelle on a assisté depuis une trentaine d’années serait aussi en train de disparaître par trop d’ ‘’enflure ’’ et d’identification au stade adulte. A trop vouloir dénoncer la mise en scène sur cette catégorie, ils reproduisent le même type de discours mais ... à l’envers.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°325 ■ 26/10/1995