Les adolescents face à la violence

 Sous la direction de Caroline Rey, Syros, 1996, 336 p.

« La violence des jeunes » constitue une tarte à la crème qu’on nous ressert depuis de millénaires. Cette notion représente autant les passages à l’acte des nouvelles générations que l’inquiétude des anciennes face à leur propre vieillissement. C’est pourquoi un ouvrage comme celui concocté par Caroline Rey est-il des plus pertinents. Il tente d’apporter des réponses formulées avec toute la distance et le recul que ce sujet peut mériter. Une vingtaine de spécialistes (pédiatres, psychologues, thérapeutes familiaux, éducateurs, pédagogues, médecins, juges...) ont été conviés à apporter leur contribution à cette question. L’adolescent a mauvaise réputation. C’est vrai que c’est à cet âge que s’organise ou se réorganise définitivement la personnalité pour aboutir à une structure qui demeurera fixée pour toujours. Cette période est d’autant plus difficile pour l’interlocuteur adulte que dans la plupart des cas, lui-même n’a pas forcément résolu les questions qui se trouvent ainsi posées. Aussi faut-il distinguer entre la réalité sociale de cette violence et la représentation que s’en fait la société. Car de nombreux travaux ont pu démontrer que le passage inéluctable par une phase de perturbation se rapprochait plus d’un mythe auquel les médias contribuent largement quand elles associent systématiquement cette classe d’âge, à des événements répréhensibles. La réalité sociale est tout autre. On compte chaque année dans le monde 3,5 millions de morts par traumatisme dont 1 million par suicide et homicide. Si dans certains pays, la violence intentionnelle est passée en cinquante ans de 3 ou 4 % à près de 10 %, on peut constater que les enfants et les jeunes sont globalement bien plus victimes qu’acteurs de cette violence. Quand on étudie plus particulièrement les conduites violentes, on s’aperçoit qu’il y a une faible corrélation entre celles-ci et les jeunes satisfaits de leur scolarité et de leur famille mais une forte correspondance avec les jeunes qui rencontrent tout au contraire dans ces mêmes domaines de fortes insatisfactions. Une étude longitudinale réalisée au Canada sur plus de 10 ans a permis de définir un profil à risque. Parmi une cohorte repérée en grande section maternelle, les éléments qui à la pré-adolescence ont exprimé des comportements délinquants sont ceux qui manifestaient enfant une hyperactivité particulièrement développée avec une faible anxiété et une attitude peu altruiste. A cette analyse, il faut ajouter la démonstration d’une violence définie comme une conduite typiquement masculine liée à toute une éducation dont la virilité est le point d’orgue avec son lot d’agressivité. Le tableau ne serait pas complet si on omettait la violence imposée par l’institution scolaire: conditions d’accueil, pédagogie, les relations sociales et le mode de fonctionnement interne provoquent parfois une maltraitance à laquelle les adolescents ne font que réagir. Et puis, reste la question de la distinction entre le pathologique et le normal. Où s’arrête la violence fondamentale qui s’identifie à l’instinct de survie et où commence l’agressivité et son intentionnalité (vouloir nuire à autrui). Au total, un ouvrage passionnant aux contributions tout aussi intéressantes les unes que les autres et à conseiller à toute personne concernée par l’adolescence.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°401 ■ 05/06/1997