Le vrai langage des jeunes expliqué aux parents (qui n’y entravent plus rien)
Eliane Girard & Brigitte Kernel, Albin Michel, 1996, 269 p.
Le langage argotique a existé de tous les temps.
C’est une pratique créative et vivante. Elle se renouvelle chaque jour, certains termes disparaissant aussi vite qu’ils sont apparus. D’autres réapparaissent en sautant éventuellement une ou deux générations.
Comment s’y retrouver ? C’est d’abord un langage parlé qui emprunte à certaines langues étrangères comme l’anglo-américain, l’arabe ou le gitan. Ce qui complique les choses, c’est le passage au crible du verlan (inversement des syllabes) et mieux encore du verlan du verlan (inversement de l’inversion !). Quelques exemples permettront de mieux comprendre: Mec donne en verlan Keum, Punk Keupon, flic donne C-Fli et par extension Keuf. En verlan de verlan Keuf se transforme en F-keu soit Feukeu.
Eliane Girard et Brigitte Kernel nous proposent un véritable dictionnaire comportant des centaines de termes et d’expressions employés dans les cités et les collèges. Chaque définition comporte en outre sa traduction en version années 70 et années 50.
Alors: vous en avez marre de passer pour un ringard ? Vous en avez ras-le-bol d’être pris pour un mongol ? Vous en avez plein le dos de ne plus piger les ados ? Une seule solution: se plonger dans ce lexique du langage des jeunes d’aujourd’hui.
Afin de tester la sagacité du lecteur, nous avons concocté un petit récit. A chacun de mesurer ses talents de linguiste et de retrouver selon la génération à laquelle il appartient l’argot qui lui est le plus familier.
Version années 1990 : «Oim j’étais à la kiss: starco in the pouc. C’est important pour chasser l’escalope. Je vais en teuboi Je tombe sur une cousine. C’était pas un boudaquatique. Ses airbags c’était pas ficher price ni findus. J’accroche. Mais, mon disque dur assure le cachou: je tire jamais ma crampe sans cafetière. Enfin, tout est mégastone quand j’ai envie d’envoyer un fax à la lyonnaise. A mon retour j’ai eu les couilles qui hallucinaient, je tombe sur un keum en train de faire le frelon vert avec ma belette. Un espèce de hulk, keubla et o’cédar, en plus qui avait l’air d’avoir été un peu trop bercé près du mur ! J’suis pas un flamby, mais pas ouf non plus. C’est ma feumeu j’lui dis. Si t’as un blème, j’te marave la cheutron qu’i m’répond. Tu m’connais, j’aurais pus faire le bronx. Heureusement mon ginfre m’a retenu: lache l’affaire, ce chicour, j’le connais, s’il prend un coup de pression, tu prends une bouffe à t’en faire tilter. J’me suis ramassé une banane, j’ai fini la soirée devant le peufli. Mauvais film cette soirée. J’suis rentré chez mes fossiles, j’avais tellement la rage que j’me suis pétaradé à donf, j’étais comme en apesanteur. Le lendemain j’ai pu calculer le périmètre de mon lit.»
Version années 70 : «Je m’étais habillé in: costard très à la mode. C’est important pour draguer les nanas. Je vais en boite. Je tombe sur une minette. C’était pas un cageot. Ses doudounes, c’était pas un plan merdique ni une planche à repasser. J’emballe. Mais dans ma tronche, j’assure: je nique jamais sans capote. Enfin tout baigne. Quand j’ai eu envie d’aller faire pleurer le colosse. A mon retour, j’ai eu des hallus, je tombe sur un mec qui drague ma nana. Un espèce de baraqué, black, la coupe bidasse et en plus qui avait l’air complètement azimuté. Je ne suis pas un mou, mais je ne suis pas disjoncté de la caisse non plus. C’est ma nana, j’lui dis. Si y a un malaise, je peux toujours de défoncer la tronche qu’i me répond ! Tu m’connais, j’aurais pu foutre le bins. Heureusement, mon frangin m’a retenu. Laisse tomber: Ce balèze, j’le connais. S’il a les glandes, tu te prends une branlée à en crever. Je me suis fait jeter. J’ai fini la soirée devant le flipper. Quel flip cette soirée ! Je suis rentré chez mes vieux. Ca m’avait tellement gonflé que je me suis fait un max de pétards. J’étais stone. Le lendemain, qu’est ce que j’ai pioncé !»
Version années 50 : «J’étais fringué comme une gravure de mode: costard très dans le coup. C’est important pour lever une petite. Je vais au club. Je tombe sur une gonzesse. C’était pas un boudin: ses lolos, c’était pas une combine en toc, ni plat comme une limande. Je soulève. Mais mon ciboulot assume: je ne m’envoie jamais en l’air sans capote. Enfin tout est formid. Quand j’ai eu envie d’aller changer l’eau des olives. A mon retour, pince-moi, je rêve : je tombe sur un gars qui faisait du gringue à ma gonzesse. Un espèce de balèze, noir, la boule à zéro en plus qui avait l’air complètement branque. Je ne suis pas une mauviette mais je ne suis pas cinoque non plus. C’est ma gonzesse j’lui dis. Si tu as un problème j’te casse la gueule qu’i m’répond. Tu m’connais: j’aurais pu faire la corrida. Heureusement mon frangibus m’a retenu. Laisse tomber, ce gazier j’le connais. Quand il est en rogne il te file une raclée à en clamser. Je me suis fait envoyer bouler. J’ai fini la soirée devant le flipper. Quelle bérézina cette soirée. J’suis rentré chez mes dabes. Ca m’avait tellement mis en rogne que je me suis fumé un max de came. J’étais pompette. Le lendemain, qu’est-ce que j’ai pu traîner au paddock.»
Traduction simultanée : «Moi, j’étais bien habillé: costume comme il faut. C’est important pour séduire les filles. Je vais en discothèque. Je rencontre une jeune-fille. Elle n’est pas laide. Ses seins étaient beaux et pas trop plats. Je flirte. Mais dans ma tête, j’ai conscience des risques: je ne fais jamais l’amour sans préservatif. Tout allait très bien. Quand j’ai eu envie d’aller uriner. A mon retour, j’ai été très étonné de constater qu’un autre garçon voulait sortir avec la jeune-fille. Une sorte de géant, noir, les cheveux en brosse en plus qui avait l’air un peu idiot. Je ne suis pas lâche mais pas fou non plus. C’est mon amie, lui dis- je. Si tu n’es pas content, on peut se battre me répond-il. Tu me connais, je peux semer la pagaille quand je veux. Heureusement mon frère m’a retenu. Laisse tomber, ce costaud, je le connais. S’il s’énerve, il va te donner une correction à en mourir. Je me suis fait congédier. J’ai terminé la soirée devant un flipper. Pas très agréable. Je suis rentré chez mes parents. J’étais tellement contrarié que je me suis énormément drogué. J’étais dans un état second. Le lendemain il m’a fallu du temps pour arriver à me lever.»
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°388 ■ 06/03/1997