L’adolescence en héritage d’une génération à l’autre

Patrice Huerre, Calmann Lévy, 168 p., 1996.

De tous les âges de l’homme, l’adolescence est peut-être celui qui a le plus fasciné l’être humain. De nombreux ouvrages lui ont été consacrés. Pourtant, celui de Patrice Huerre comporte une originalité qui le fait se distinguer du propos traditionnel sur cette question.

Bien sûr, on retrouve des descriptions sans surprise, même si elles sont particulièrement bien formulées. L’auteur rappelle cette période de désillusion et désidéalisation par rapport à ses propres parents qui sont tour à tour encore nécessaires et déjà insupportables. Jamais le jeune n’a eu autant besoin d’être proche d’eux. Jamais il n’a eu autant besoin de prendre ses distances. Cette épreuve n’est pas seulement difficile pour l’adolescent. Elle l’est tout autant pour l’adulte qui doit faire preuve à la fois de souplesse tout en ne perdant pas de vue le cap. Il n’y a pas à ce propos de recette. Encore, il y aurait- il une, il ne faudrait pas l’utiliser tant l’individu est unique et singulier ! Cette réaction parentale est encore compliquée par l’émergence chez lui de ses propres émotions passées. Ces affects et ces désirs, datant de sa puberté, n’ont pas trouvé de place dans sa mémoire. Ils ont été recouverts par des souvenirs officiels et acceptables. Plus le parent a cherché à oublier son adolescence, moins il va supporter celle de son enfant. Qui plus est, ce dernier possède l’art et la manière de mettre le doigt sur ce que l’adulte n’a pas envie de voir réapparaître.

Là où la contribution de Patrice Huerre devient vraiment passionnante c’est quand il explique comment l’adolescence  va provoquer l’inventaire et le bilan de l’héritage familial. Chacun d’entre nous porte sur ses épaules le poids des générations précédentes explique-t-il. Le jeune devient le porte-parole de ce que les parents n’ont pu dire ou faire. Les symptômes sont alors à décoder dans une logique transgénérationnelle. Passages à l’acte ou maladies peuvent très bien être interprétés comme autant de protections ou de révélateurs de traumatismes subis par les parents. Ces derniers fonctionnent alors en miroir avec leur enfant. La gravité de ce qui a été subis renforce la difficulté à le transmettre: une ou deux générations plus tard ressurgit brutalement ce qui a été refoulé. L’exemple des petits-fils de harkis ou des rescapés des camps de la mort qui  ne retrouvent une plénitude qu’après que leurs ascendants aient pu mettre des mots sur ce qu’ils ont vécu est à ce propos très spectaculaire. En fait, les adolescents ressentent le besoin de se réapproprier leur histoire familiale, tant ils sont sensibles aux désirs et affects profonds, même silencieux de leurs parents. L’auteur décrit tout au long de son ouvrage un certain nombre de vignettes cliniques qui démontrent son propos et font sentir la difficulté rencontrée par les jeunes à être tant ce que leurs parents ont pu être que ce qu’ils n’ont jamais pu être.

Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°370  ■ 24/10/1996