L’adolescent, le psychanalyste et l’institution
Jean-Pierre Chartier, Dunod, 1998, 159p.
« Ils semblent se déplacer dans un monde virtuel où aucun acte ne devrait avoir de conséquences d’où le sentiment de culpabilité n’existe pas. Leurs comportements, souvent imprévisibles, manifestent l’absence d’intériorisation de l’autre. » Ainsi, commence Jean-Pierre Chartier dans un ouvrage qu’il consacre aux jeunes dit « incasables ». Quelque chose a été tragiquement raté chez ces sujets dans l’instauration du lieu inaugural à l’autre. Pour autant, ce psychanalyste « membre du IVème groupe » (qui doit être l’une des nombreuses chapelles issues de la mouvance freudienne) se présente avec une grande ouverture d’esprit. La pathogenèse de ces situations de jeunes en grande difficulté se situe au confluent de plusieurs champs d’investigation : social, familial, psychique individuel, biologique : »mais en aucun cas à l’intérieur d’un seul d’entre eux. Malheureusement, l’annexionisme, le réductionnisme et le sectarisme prévalent le plus souvent dans les pratiques de recherche » (p.10) L’adolescence est période d’angoisse. Pour y faire face, l’individu fabrique des symptômes : ce peut être le clivage, le déni ou l’agir. Chez l’adolescent délinquant, ces manifestations sont bien sûr amplifiés. Plus la conduite anti-sociale a été précoce, plus elle sera stable et lourde de conséquences. « L’enfant agressif risque fort de devenir un jeune délinquant et l’adolescent agressif présente une forte probabilité d’entrer dans une carrière criminelle à l’âge adulte »(p.11). Pour le jeune en grande difficulté, le présent immédiat est le seul qui compte. Il n’a pas accès au temps chronologique mais conçoit plutôt un temps circulaire sans commencement ni fin. Toute temporalisation et toute inscription dans la durée lui apparaissent incompréhensibles. La peine qu’il reçoit avec sursis est pour lui synonyme d’impunité. La condamnation intervenant plusieurs mois après les faits n’est pas intégrée. Elle appara^t comme une injustice et justifie pour eux d’une vengeance. On peut résumer son fonctionnement aux 3 D. D comme Déni :incapacité de se reconnaître responsable de ses actes. D comme Défi : la loi et l’autorité sont en permanence l’objet de bravade. Déni et Défi débouchent inévitablement au Délit.
Jean-Pierre Chartier revendique la nécessité de sortir des sentiers battus en rompant avec les modalités traditionnelles de prise en charge de cette population très particulière. Ainsi, pas question d’une cure exigeant un contrat que ces jeunes ne pourront de toute façon pas respecter. Pas plus que de la stricte neutralité du thérapeute. Ce qui est incontournable par contre, c’est une véritable pluridsiciplinarité qui implique que chacun admette son incomplétude.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°501 ■ 30/09/1999