Au secours, on veut m’aider

Tome 1 - Claude SERON, éditions Fabert, 2006, 482 p.

Chacun l’a compris, à l’adolescence, la transformation physique met à l’épreuve le corps du jeune qui, à son tour, met à l’épreuve à la fois son corps et le corps social. Mais ce moment crucial de la vie est aussi l’occasion de réaménagements psychiques qui nécessitent de la part des adultes des attitudes adaptées, au risque de voir l’adolescent être lui-même troublé du trouble qu’il suscite. Les parents ou les d’éducateurs qui choisissent la voie de la séduction et essaient de passer pour la bonne mère, afin d’éviter le conflit ou d’apaiser leurs angoisses face à leurs responsabilités, cultivent un terrain fertile pour la manipulation, l’agressivité ou le rejet. Tout au contraire, doivent-ils beaucoup payer de leur personne, en se montrant capable de combler, mais aussi de frustrer, d’être à la fois fermes, exigeants et cohérents. C’est encore plus vrai pour ces adolescents, anthropophages d’un amour qu’ils n’arrivent pas à digérer, quand notamment toutes les tentatives d’attachement se sont soldées par des échecs. Face à ces jeunes qui ne réussissent pas à distinguer clairement les sources de leur mal de vivre et qui font payer à autrui toute la souffrance qu’ils traînent depuis tant d’années, les adultes doivent montrer que l’adolescent est suffisamment digne d’amour et de sollicitude, pour qu’ils ne le réduisent pas à l’image négative dans laquelle il se complaît : « seuls les jeunes qui ont noué une relation forte avec un adulte significatif et solide peuvent prendre le risque du changement » (p.68) Cette relation thérapeutique n’est pas à sens unique, loin de là. Se donner ainsi à des ados qui ne semblent rien avoir à faire de ce qu’on leur apporte n’est pas du masochisme, mais une identification à des êtres capables de faire ce qu’on n’a soi-même jamais réussi à accomplir jusqu’au bout : s’opposer radicalement et hurler sa colère ! Nombreuses sont toutefois les formes réactives de l’adulte placé face à une telle confrontation. Blindage, tentative de connivence avec le jeune, surinvestissement ou psychologisation permettant de rationaliser … Ce que nous propose Claude Seron, c’est justement, au travers de son parcours de vie professionnel (qui l’a fait passer du rôle d’éducateur de groupe de vie à psychologue de l’association « Parole d’enfants »), le regard qu’il porte sur l’adolescence en difficulté et l’action psychosociale pour lui venir en aide. Sa pratique, largement inspirée par la systémie, cherche surtout à ébranler les convictions, fissurer l’armure cognitive et comportementale, en changeant de contexte et d’angle de vue de la réalité. Que ce soit face à des nourrissons géants maltraitant leurs parents ou face à des enfants adultisés pour prendre en charge leurs parents défaillants, que ce soit face à la maltraitance ou face à l’inceste dont sont victimes des adolescent(e)s, l’auteur rétablit la complexité des situations, en se posant la question éthique : jusqu’où sommes-nous autorisés à trouver du sens aux comportements et aux ressentis de ceux que nous voulons aider, au risque de faire parfois plus de mal que de bien ?

 

Tome 2 - Sous la direction de Claude Seron, éditions Fabert, 2006, 376 p.

Actes du colloque organisé par « Paroles d’enfant » en 2003, cet ouvrage met l’accent sur le regard biaisé que trop souvent nous portons sur l’adolescence du fait d’une pratique professionnelle axée essentiellement sur ceux des jeunes qui ont les parcours les plus douloureux. Michel Fize l’affirme: il y a un vrai problème chez les adultes qui entretiennent la confusion entre les dimensions ordinaire et pathologique d’une adolescence qui n’a rien à voir avec ce continent noir qu’on prétend. Les jeunes ont plus d’assurance qu’on ne croit et plus de confiance en eux qu’on ne le pense. Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre à Louvain le confirme en évoquant l’inquiétude récurrente, à toutes les époques, des générations matures face à la cohorte joyeuse de jeunes transformés en horde de diables menaçants. Patrice Huerre, psychiatre, va dans le même sens, en  soulignant le paradoxe d’une société qui affiche sa  peur pour sa jeunesse, tout en s’inscrivant dans un fonctionnement typiquement adolescent : priorité de l’avoir sur l’être (croissance sans limites de la société de consommation) ou recherche de réponses immédiates (tout, tout de suite, au besoin grâce à des crédits ruineux. Est-ce à dire que la souffrance serait absente des jeunes générations et que l’inquiétude des adultes serait avant tout fantasmatique ? Certes non, mais là aussi,  s’il faut tout mettre en œuvre pour réduire les sources des dysfonctionnements qui les écorchent et rendre leur vie sociale la plus attractive et la plus utile possible, il faut tout autant éviter les attitudes contre-productives. Yves Stevens, psychologue, préconisera un certain nombre de comportements susceptibles d’éviter cet épuisement que l’on rencontre si souvent chez les adultes. Au premier rang de ces propositions, la reconnaissance de la compétence du jeune à élaborer les solutions qui lui permettront de s’en sortir. Cela implique pour le professionnel de passer d’une position haute (« je suis celui qui va te sauver ») à une position basse (« j’ai besoin que tu mettes en œuvre tes capacités pour qu’on avance ensemble »). Seconde attitude : identifier au préalable la situation d’injustice qui est à l’origine ses comportements destructeurs (qu’ils soient auto- ou hétéro agressifs). Ce n’est qu’en reconnaissant d’abord ce qu’a subi le jeune, que l’on pourra ensuite être légitime dans la critique de ce que lui, a commis. Enfin, diverses qualités apparaissent comme autant de pré-requis dans la prise en charge des adolescents en grande difficulté : la patience, la ténacité, l’obstination... Le jeune ne doit pas trouver, chez un professionnel hésitant et distant, cette même indifférence qu’il appris lui-même à cultiver afin d’édifier ce blindage indispensable pour supporter les souffrances subies.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°809 ■ 21/09/2006