Adolescence en crise? Vers le droit à la reconnaissance sociale
Michel FIZE, Hachette éducation, 1998, 138 p.
Si Michel Fize n’est pas encore considéré comme le sociologue de l’adolescence, cela ne devrait guère tarder. Ce sociologue a consacré de nombreux ouvrages (cf. Lien Social 269/270) à ce qu’il n’a pas hésité à désigner comme le « peuple adolescent ». L’auteur est aussi un acteur engagé, ayant accepté de co-animer la Consultation des Jeunes lancée par Edouard Balladur en 1994 ou de devenir Conseiller Technique au cabinet de Marie-Georges Buffet, Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et au Sport. Si certains ont pu remettre en cause le concept même d’adolescence, Michel Fize, quant à lui, dénie toute légitimité à la notion de « crise d’adolescence » qui « n’est qu’une invention sociale pour camoufler les rapports de domination de la classe adulte sur la jeune génération. » (p.7) Sous son aspect tout à fait radical, cette affirmation mérite qu’on s’y attarde. Certes, la puberté constitue un moment particulièrement sensible dans l’existence de l’individu. Mais comme bien d’autres périodes charnières, affirme l’auteur, comme la mise en couple, le premier enfant, le départ en retraite etc… De nombreux travaux ont démontré que la plupart des adolescents traverse cette époque de leur vie sans ce stress ravageur que l’on voudrait généraliser. Les situations conflictuelles émergent en fait surtout, dans des conditions sociales particulières, quand, par exemple, aucun rôle social n’est aménagé. Alors même que l’enfance s’étire par les deux bouts, commençant plus tôt et finissant plus tard, les jeunes sont victimes d’un mécanisme d’intégration sociale complètement enrayé. Non seulement, ils ne trouvent pas de place reconnue, mais ils sont, en outre, soumis à de multiples violences tant au sein des familles que de l’école, des institutions sportives et culturelles que du monde du travail. Résultats : 30% d’entre eux sont dépressifs, 50.000 disparaissent chaque année (chiffres officiels que l’on peut aisément tripler ou quadrupler pour se rendre compte de la réalité), les suicides ont augmenté de 72% depuis 1968. Comment s’étonner de leurs mouvements d’humeur ou de leur révolte ? « Moins un adolescent est en sécurité intérieure, plus il risque d’être aspiré par la violence (…) violenté,s ils violentent, agressés, ils agressent, désespérés, ils désespèrent. »(p.70-71) Le processus d’opposition et de conflit ne vient donc pas tant d’une problématique individuelle que de la tension sociale entre la faculté de penser et l’incapacité de décider. « L’adolescent moderne est un paradoxe psychosocial. A son crédit, une indéniable maturité psychique dans de nombreux domaines. A son débit, une grande immaturité sociale » (p.101). La société passe son temps à lutter contre les effets qu’elle ne cesse de produire. « A l’adolescence en crise, préférons l’adolescence victime de la crise sociale » (p.72) Ce dont il est question, c’est bien d’apporter une réponse à une véritable ségrégation qui frappe toute une classe d’âge.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°503 ■ 14/10/1999