Les Jeunes au volant
LE BRETON David (sous la direction), Éd. érès, 2022, 265 p.
Si l’obtention du permis de conduire a acquis le statut de norme sociale et de rite de passage vers l’âge adulte, l’usage de la voiture n’est pas seulement de l’ordre de l’utilitaire. Certes, elle représente d’abord une opportunité de mobilité sociale, la possibilité de se rapprocher rapidement d’un tiers spatialement éloigné permettant de décupler le pouvoir de contrôle de la densification du temps. Mais, elle constitue aussi un puissant symbole d’affirmation de soi et de prothèse d’identité, de signe d’affranchissement et d’élaboration d’un espace privé où l’on est à la fois dans son propre monde et à la fois son propre monde. La preuve est faite qu’on a bien coupé le cordon ombilical et qu’on a réussi à investir un chez soi, distinct du domicile parental. Mais, cette conquête d’autonomie se paie au prix fort, les 18-29 ans étant surreprésentés dans les victimes de la route : 16% du nombre de décès, alors que cette classe d’âge ne correspond qu’à 8% de la population. Alcool, vitesse, stupéfiants, fatigue, usage du téléphone … la conduite est un instrument-clé des turbulences de la jeunesse, les prises de risque étant avant tout masculine. N’y a-t-il pas dans l’affirmation personnelle de la dextérité et de la performance, une régulation au monde et une construction de la virilité qui viendraient supplanter la carence sociétale contemporaine quant à la quête de sens et l’identification à des valeurs porteuses et stables ? Expérimenter les périls permet de mieux les dompter. Défier la mort favorise l’accès au mérite de vivre. Se confronter au risque, c’est montrer sa capacité à maîtriser son corps et son mental, ses réflexes et sa machine. Toute prévention ne peut ignorer ces défis anthropologiques, si elle veut réussir à réduire la surmortalité routière chez les jeunes générations.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1335 ■ 13/03/2023