Les enfants et les écrans
CORDIER Anne et ERHEL Séverine (coordination). Éd ; Retz, 2023, 173 p.
Si, en 2005, 982 articles de presse portaient sur le danger des écrans pour les enfants, ils étaient 103 400 en 2012 et sont montés à 1 646 500 en 2018. Cet usage du numérique semble inquiéter de plus en plus les adultes. Ce livre propose de faire le point.
Stanley Cohen désigna en 1972 la « panique morale » comme cette réaction disproportionnée alimentée par des moralisateurs s’emparant de boucs émissaires pour dénoncer une personne ou un groupe présenté comme une menace pour la société, ses valeurs et sa cohérence.
Il y eut d’abord cette inquiétude des années 30, aux USA, autour des effets délétères des flippers puis des émissions radiophoniques dans les années 40. Les Comic book furent mis à leur tour en accusation dans les années 50, et encore les jeux de rôle dans la décennie 60. Et puis, bien sûr, le rap à partir de 1990. Tous étaient soupçonnés de pervertir la jeunesse par une société adulte déstabilisée par une culture juvénile qui leur échappait.
Les écrans ne provoquent-ils pas l’émergence de générations de « crétins digitaux » dont le niveau d’intelligence baisse dangereusement, renonçant à la culture et aux relations sociales au profit d’une dépendance au digital ? Ou s’agit-il là d’un tourment médiatique amalgamant clichés, idées reçues et incantations pour désigner un nouveau et caricatural mal du siècle ?
Le constat est pourtant implacable : les mutations sociales liées à la massification de la diffusion du numérique et l’omniprésence de la technoculture chez les nouvelles générations. Les écrans ont envahi notre monde : nous passons cinq heures par jour à les utiliser, soit 50% de plus qu’il y a dix ans. Aussi est-il légitime de s’interroger sur l’impact potentiel portant non seulement sur l’équilibre et l’épanouissement des enfants et des adolescents mais aussi sur les troubles neuro-développementaux dont ils souffrent parfois.
Pour répondre à ces questions, ce petit livre donne la parole à dix-sept scientifiques. Leurs réponses ne relèvent pas d’opinions, d’avis prospectifs ou de convictions philosophiques. Elles s’appuient sur ce que la science a pu démontrer au travers de méta-analyses (synthèses de dizaines ou centaines d’expériences) et ce qu’elle ne peut pas prouver. L’usage du numérique nuit-elle à l’intelligence de nos enfants ? Est-il à l’origine de graves troubles physiques comme psychiques ? Est-il à l’origine de l’inculture de notre jeunesse ? Est-elle inefficace en terme pédagogique ?
A cet effet, plusieurs dérives sont dénoncées : les hypothèses spéculatives qui ne se basent sur aucune preuve ; les termes génériques ne prenant pas en compte la diversité des usages (tels « les écrans » ou « le temps d’écran » présentés comme une réalité globale alors qu’ils sont multiples) ; la confusion entre causalité (lien de cause à effet entre deux variables) et corrélation (deux variables citées côte à côte) ; l’explication monofactorielle qui met en évidence une origine unique alors qu’il y en a de multiples ; etc …
Un certain nombre de liens établis justifient tout autant d’être interrogés. L’utilisation massive des écrans entraine-t-elle une surcharge pondérale, par manque d’activité physique, ou est-ce la surcharge pondérale qui incite à utiliser plus les écrans ? Cet usage est-il lié au mal-être des enfants ou le contraire ? Une dose trop importante de télévision produit-elle des troubles attentionnels ou le contraire ? Il est impossible aujourd’hui, au regard des données scientifiques de départager ces questions. C’est pourquoi il faut garder un esprit critique face à leur complexité.
Les auteurs le constatent : aucun des effets négatifs présumés des écrans n’a été démonté d’une manière fiable et définitive. Pourtant, on les accuse d’accroitre massivement l’inattention, la passivité intellectuelle, la dispersion ou l’éparpillement… Effectivement, une poignée d’enfants passent du simple plaisir à la perte de contrôle et à un usage excessif et compulsif. Mais là aussi cette pratique est-elle la conséquence des écrans ou le mal-être identifié a-t-il d’autres origines, les écrans devenant un refuge et un symptôme ? Pour la majorité les effets positifs des jeux vidéo sont significatifs sur la concentration, les capacités visuospatiale, la mémoire de travail ou l’apprentissage probabiliste…
La conclusion ? Arrêtons de diaboliser ces satanés écrans. L’exposition à ces outils n’est ni bonne, ni mauvaise en soi. Si leur utilisation est ajustée et dosée, adaptée et pensée, médiatisée et accompagnée, elle peut s’avérer positive et constructive en terme d’apprentissage. Tout dépend du contenu, du contexte et de l’implication des adultes qui ont un rôle à jouer pour en modérer et moduler l’usage en s’y intéressant et en fixant des règles et un cadre d’utilisation.