Le peuple adolescent
Il y a 30 ans, cette rubrique remonte le temps en remettant sur le devant des critiques parue il y a trois décennies… "Le peuple adolescent "
Michel FIZE, Julliard, 1994, 180 p.
Cette classe d'âge, on la connaît. Elle a existé de tous temps, même si c'est très récemment qu'elle a été considérée en tant que telle. C'est un stade de la vie qui à la fois fascine et inquiète. Peut-être parce qu'elle renvoie l'image de ce qu'on n'est plus !
Processus biopsychologique, l'adolescence est coincée entre l'enfance et l'âge adulte. On l'identifie à la pureté et à la naïveté, au temps des possibles et de l'insouciance, à la passion et au plaisir, au remue-ménage et au remue-méninge. Tout cela est connu.
Mais pour Michel Fize, se rajoute à notre époque à ces caractéristiques atemporelles une véritable stratification sociale: il y aurait une uniformisation adolescente dépassant les différences sociales. C'est un véritable groupe qui se serait constitué avec sa culture propre, sa musique, ses vêtements, son langage. Cette nouvelle catégorie sociologique s'étendrait en mordant à la fois sur la période de latence (de plus en plus de 8-9 ans adopteraient des comportements ados et sur la période adulte (la fameuse post-adolescence, les 18-25 ans).
La constitution de ce groupe coïncide avec une crise majeure des valeurs qui remonte au début des années 60. Effondrement des institutions telles que la Famille, l'Ecole, la Religion, remise en cause de l'autorité qui doit se justifier, effacement de la place du père, panne de communication au sein de la famille, etc. la disparition des anciens modèles de fonctionnement a laissé un vide que pour l'instant rien n'est venu combler. D'où la disparition des repères, des oppositions structurantes au sein de la famille (confusion des rôles entre parents et enfants), méconnaissance des règles sociales, non distinction entre ce qui est grave et ce qui ne l'est pas.
Le peuple ado ne trouve pas, sa place dans la société. Il ne bénéficie ni de reconnaissance sociale ni de droits véritables ni de temps ni d'adultes référents. Sa réaction prend les formes les plus diverses : fugues et suicides sont parmi les réponses individuelles les plus graves. Quant aux actions collectives, elles vont des manifs lycéennes pacifiques aux révoltes des banlieues (pillage, casses).
Un exemple parmi tant d'autres de ce dilemme entre monde adulte et monde ado : le refus des jeunes de rentrer dans les structures préparées pour eux (clubs sportifs, maisons de la Culture). Au contraire, ils cherchent a s'approprier des espaces qu'ils choisissent eux-mêmes (centre ville, parking, esplanade...) allant ainsi à l'encontre des normes d'ordre et de sécurité adultes.
Michel Fize propose un code de bonne conduite fait de bon sens à l'égard de cette classe d'âge : faire sa place aux ados, c'est allier la confiance et la dose nécessaire d'autorité, l'affection et le respect de l'intimité du jeune, le dialogue et l'acceptation du conflit, le respect du rôle de chacun (adulte/ado) et l'ouverture vers le monde et sa diversité.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°269/270 ■ 14/07/1994