Enfants turbulents: l’enfer est-il pavé de bonnes intentions

Collectif Pas de 0 de conduite, éditions érès, 2008 304 p.

Notre société présente le curieux paradoxe d’être à la fois de plus en plus demandeuse de catégorisation, de dépistage et de diagnostic opérationnel, tout en étant particulièrement attentive à la défense des libertés individuelles. C’est à cette contradiction que répond la vingtaine de participants au colloque scientifique réuni, en novembre 2007, par le collectif Pas de 0 de conduite. S’il est bien une idée fausse, c’est celle qui laisse croire à l’existence d’un lien linéaire et prédictible entre les difficultés de comportement d’un enfant en bas âge et l’apparition ultérieure d’actes déviants. Cet amalgame tient à plusieurs dérives. La première relève de la réduction de la chaîne explicative à la logique causaliste, uniciste et univoque qui cherche à relier un effet à une cause, une solution à un problème et un outil à une action. Pour comprendre une situation, il faut bien plutôt se référer à un modèle multifactoriel intégrant des causes tant internes qu’exogènes. Ainsi, ce qui provoque l’hyperactivité peut être d’origine génétique, congénital, neurobiologique ou psycho-intellectuel, mais peut tout autant provenir de l’environnement. On peut, par exemple, s’interroger sur la prévalence de l’hyperactivité en France (6,2%) et aux USA (12,5%), le décalage pouvant trouver l’une des explications possibles dans le congé maternité généreux, le déploiement des services PMI ou l’existence de crèches et de l’école maternelle que l’on trouve dans notre pays. La seconde erreur est fréquente : c’est celle de la simplification. « Rien n’est plus inconfortable que de travailler avec la complexité et son lot d’incertitude » (p.80) Nous avons tous besoin de classifier pour essayer de comprendre la réalité. Mais seuls sont légitimes à le faire, ceux qui interrogent en permanence leur propres typologies, car tout sujet est en capacité, à tout moment, de contredire les prévisions faites à son égard et démentir les fatalismes qui semblaient le condamner. Troisième erreur, cette pensée magique qui colle à la passion du chiffre et qui vient nourrir l’illusion d’une efficacité quantifiable. Il faut éviter de confondre la norme humaine et la norme statistique, cette dernière ne pouvant servir de base à la moindre prédiction qui ne peut être que probabiliste. Ainsi, entre les enfants les plus précoces et ceux qui sont plus tardifs, on mesure quatre mois de différence dans la station assise, neuf mois dans la marche et vingt mois dans le prononcé des premières phrases. La bonne prévention, c’est celle qui va à la rencontre de l’enfant et de sa famille, dans une approche globale et un climat de confiance. C’est celle qui accorde des compétences aux uns et aux autres, sans prédire à l’avance ce qui peut advenir. C’est celle qui articule les prises en charge pédagogique, sociale, judiciaire et pédopsychiatrique. C’est celle qui préserve l’inconnu dans le connu, l’invisible dans le visible et le silence dans la parole.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°920 ■ 12/03/2009