La douleur de l’enfant
Annie Gauvain-Piquard et Michel Meignier, Calmann-Lévy, 1993, 265 p.
Voilà un livre essentiel que tout bon médecin devrait avoir à son chevet. Parmi toutes les violences que l’enfant est susceptible de subir, il en est une à laquelle on s’attend le moins, c’est celle qui provient du soignant. Il est en effet tout à fait hallucinant d’imaginer qu’il a fallu attendre le milieu des années 80 pour que soit remise en cause la légende selon laquelle le bébé serait trop immature pour ressentir la douleur et surtout s’en souvenir. Résultat, jusqu’alors les opérations qu’il subissait se faisaient massivement ... sans anesthésie ! Circoncision et ablation des amygdales sans analgésiant mais aussi certaines ouvertures de thorax. Quand le patient a la chance d’être endormi, son réveil peut être marqué par une douleur terrifiante d’acuité et d’intensité. Ce qui n’empêche pas d’éviter l’utilisation d’antalgique, histoire d’accélérer le réveil et de désengager plus rapidement les salles où cela a lieu. Si l’équipe médicale se mobilise avec dévouement et courage pour sauver la vie, elle ignore le plus souvent la qualité de celle-ci. Or, si 1% seulement des douleurs sont véritablement combattues, 80% des 99 qui restent pourraient l’être efficacement. Pourquoi donc ce refus de soulager cette souffrance que l’on peut considérer comme une inadéquation de soins, un sévice passif et une faute professionnelle ? Cela tient pour l’essentiel à cette morale judéo-chrétienne qui imprègne notre civilisation jusque dans les trous de nez. La peine et la douleur ne font-ils pas partie de notre lot depuis qu’Adam et Eve ont été chassés du paradis terrestre ? Ne riez pas: jusqu’au Moyen-Âge, soulager la douleur relevait de la sorcellerie (et donc du bûcher) en ce qu’elle empiétait sur les pouvoirs relevant du divin. Ce n’est qu’en 1952 que le pape Pie XII indiquera clairement que la douleur n’est pas nécessaire à l’élévation de l’âme !
Nous sommes toutes et tous imprégnés de cette approche de la douleur. Il n’y a pas que les soignants qui la dénient. Les parents le font aussi, par volonté d’endurcir leur progéniture ou pour éviter l’engrenage des plaintes et jérémiades incessantes. Les psychologues encore mettant en garde contre la focalisation sur le symptôme, ont pu accréditer l’idée d’une absence de réalité physique de la douleur. Les enfants eux-mêmes l’imaginant comme la punition d’une faute imaginaire qu’ils devraient subir en silence.
Tout au long de son histoire, l’Homme a été fasciné par cette douleur, tantôt la combattant, tantôt la valorisant. Aussi, si son niveau de perception peut être considéré comme universel, son seuil de tolérance dépend étroitement de la culture qui imprègne l’individu. C’est bien pour cela qu’elle n’existe que telle qu’elle
est exprimée par le patient. Elle est néanmoins utile et précieuse quand elle agit comme signal d’alarme alertant un dysfonctionnement physique. Mais une fois son rôle joué, il est inutile de la laisser perdurer: “ La douleur appauvrit l’homme. En peu de temps, elle fait de l’esprit le plus lumineux un être traqué, replié sur lui-même, concentré sur son mal, égoïstement indifférent à tout et à tous ” (p.111).
Ce livre aborde la question d’un point de vue historique, biologique, psychologique et surtout humain qui en rend la lecture incontournable.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°349 ■ 18/04/1996