Papa, maman, laissez-moi le temps de rêver
Etty Buzyn, Albin Michel, 1996, 188 p.
Dans la série « lâchez-leur donc les baskets », on pourra lire le livre d’Etty Buzyn qui lance un véritable cri d’alarme: arrêtons d’exiger de nos enfants beaucoup trop, beaucoup trop tôt, selon des normes élitistes fondées sur la recherche de la rentabilité à outrance. Laissons-leur le droit au rêve, à la curiosité et à la découverte de leurs aspirations les plus personnelles.
Au départ il y a ces techniques qui nous permettent de maîtriser voire de programmer la mise au monde de nos enfants. Certes, on ne peut nier le progrès fantastique apporté par ces possibilités. Pour autant, cela ne doit pas déraper, comme c’est le cas trop souvent vers des bébés dont on attend qu’eux aussi s’adaptent aux désirs des parents et répondent à leurs projections.
Puis, vient le statut de l’enfant. Celui-ci s’est vu attribuer ces dernières années une place de personne à part entière. Cette évolution là aussi positive a manqué son but dès lors que le gamin a été adultisé devenant l’enfant-défouloir des plus grands, l’enfant-déversoir des adultes ou encore l’enfant-thérapeute des malaises parentaux. Le petit d’homme ne découvre plus le monde qui l’entoure à son rythme, mais est trop souvent bombardé d’informations qu’il ne peut digérer qu’au prix d’efforts dont les effets néfastes sont aisément repérables.
On n’oubliera pas la formation précoce visant à obtenir des performances qui (croit-on) seront la garantie d’une bonne place dans la société à-venir. Or, ce dont il s’agit à cet âge, c’est bien plus de partager avec l’enfant un ressenti au travers du plus large éventail possible de sensations et de l’encourager à poursuivre son évolution personnelle au travers de ses découvertes et expériences. Le rôle essentiel de l’éducateur est bien de favoriser l’émergence et la réalisation de l’originalité qui sommeille en lui. On en est loin, convenons-en, avec un système scolaire et familial qui loin d’ouvrir le sujet à la culture et à la connaissance de soi et des autres, valorise surtout l’acquisition des diplômes.
L’auteur dénonce ces fonctionnements de notre société qui rendent suspects la créativité, uniformisent les besoins, tuent le désir alors même que c’est la richesse de son monde intérieur qui permet à l’individu de profiter au mieux de son autonomie et de son équilibre psychoaffectif. L’enfant doit disposer de temps pour rêver et fantasmer. Il est nuisible de combler ses attentes par ces fléaux que sont la télévision et les jeux vidéos qui sont autant de fossoyeurs de l’imaginaire. Car, comme le jeu permet d’extérioriser les souffrances intérieures et de libérer les frustrations et les désirs inconscients, la rêverie joue un rôle essentiel de déversoir du trop plein d’angoisse. L’enfant garde encore cette capacité -qui nous a trop souvent quittés- à l’émerveillement. La réhabiliter passe par le renouveau laissé à l’oisiveté, à la paresse, à la solitude, voire à l’ennui. Ces attitudes loin de nuire à l’individu favorisent bien au contraire sa richesse intérieure en l’amenant à des recherches créatrices et épanouissantes.
Au travers de nombreuses vignettes cliniques qui illustrent son propos, l’auteur, psychothérapeute de métier, nous dresse un portrait fort inquiétant du monde que nous construisons. La lecture de cet ouvrage ne peut que contribuer à une prise de conscience salutaire.
Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°374 ■ 21/12/1996