Les enfants du crépuscule
Torey HAYDEN, Presse de la Cité, 2005, 405 p.
Voilà un livre qui se lit comme un roman. Rempli d’humanité et de tendresse, ce récit met en scène une pédopsychologue américaine, spécialiste du mutisme électif et plusieurs de ses petits patients. Le mutisme peut intervenir suite à plusieurs formes de traumatisme, allant d’une blessure à la bouche, jusqu’à l’injonction d’avoir à taire un secret, en passant par un choc ou un stress particulièrement intenses. Tout au long des pages, on suit les stratégies déployées par l’intervenante pour entrer en relation avec l’enfant qui se tait. Convaincue que l’influence significative vient de l’interaction humaine plus que de telle ou telle méthode et qu’il vaut mieux adapter les connaissances aux évènements que le contraire, elle ne suit aucune théorie particulière. Son outil principal n’est pas une batterie de tests psychométriques, mais un authentique « sac à malice » rempli de marionnettes, de poupées, de livres, de crayons de couleur, de papier blanc, d’un vieil appareil de photo cassé et de plusieurs animaux et soldats en plastique. Et puis, il y a ce sens de l’observation qui cherche à voir en profondeur dans les situations les plus ordinaires et cette attention portée aux plus faibles nuances dans les comportements, les expressions fugitives, les soupirs, les silences qu’on ne remarque plus quand on croit avant tout devoir vérifier ses hypothèses théoriques. Ce qu’elle cherche, avant tout, c’est à donner à l’enfant un sentiment de sécurité, afin de le libérer de toute l’énergie qu’il déploie pour se protéger et lui permettre de progresser. Les entretiens sont enregistrés systématiquement, ce qui permet de les revisionner autant de fois que nécessaire pour décoder ce qu’on n’a pas perçu ou compris sur le moment. On fait ainsi la connaissance de Cassandra qui, répondant aux attentes supposées de l’adulte, tente d’empêcher de voir ce qu’elle ne veut pas montrer. Ses modes de défense passent d’abord par la propension à mimer un animal et ne plus communiquer que par cris perçants ou par grognements : « discuter avec les ptérodactyles ne faisant pas partie de mon répertoire normal, je marquai une longue pause, le temps de trouver la meilleure solution à adopter » note avec humour l’auteur. Mais Cassandra porte aussi des accusations les plus fantaisistes d’agression sexuelle. Torey Hayden reçoit alors la consigne de la rencontrer dans une salle ouverte et en présence d’une tierce personne. Dans les moments les plus intenses et douloureux, malgré le conseil de ne pas toucher un enfant au-delà de la main sur l’épaule, elle rassurera ou contiendra physiquement la petite fille. Et puis, il y a Drake, âgé de quatre ans, qui ne se sépare jamais de sa peluche, un tigre deux fois plus gros que lui, surnommé copain par l’entourage, l’enfant n’ayant jamais sorti un mot depuis sa naissance. Les raisons du mutisme dont sont atteints ces deux enfants seront dévoilées. Le lecteur le découvre en fin d’un ouvrage mené tambour battant, comme un vrai thriller.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°782 ■ 26/01/2006