Des enfants sans toi et moi
Françoise PAROT et Ephraïm TEITELBAUM, Flammarion, 2002, 220p.
Les récits ethnologiques décrivent des pratiques très diversifiées dans l’histoire de l’humanité : mariage avec un bébé ou père devenant le frère de leur fils lorsque ce dernier est adopté par son propre père. A cette aune, les évolutions récentes de notre société n’ont rien d’invraisemblables : autorisation du diagnostic pré-implantatoire, pacs, légalisation dans certains pays du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels. Mais tous les changements, quand ils ont eu lieu dans le passé, ont toujours suivi un processus long qui s’est réalisé dans une certaine cohérence. Ce qui se passe au sein de notre société emprunte, selon les auteurs, les voies de la précipitation et de la déraison. Ainsi, de la liberté contraceptive qui a constitué une véritable libération en permettant de rompre avec le conservatisme familialiste et à des enfants de ne pas naître indésirés. Mais l’égalité revendiquée entre le sexe qui en a été le moteur a plus ou moins brouillé l’image du principe masculin et féminin. Il en est advenu une nette confusion entre différenciation sexuelle et inégalité entre les sexes : l’égalité des droits n’est pas l’identité dans les draps. Les mêmes dérives sont apparues en matière de fécondation : « se reproduire, c’est produire non pas le même mais du semblable. En évitant les anomalies, en retenant un embryon conforme aux exigences psychiques du couple ou à celles passagères de la mode, cette logique nous mènera, si rien ne vient la freiner, à l’horreur de l’identité généralisé » (p.75) L’enfant est devenu un bien qu’il convient de posséder pour être heureux, pour être normal. Le risque est grand de le voir devenir le simple instrument du plaisir parental. Quant à l’éducation, elle se heurte à la recherche du bon modèle : être de bons parents qui tiennent leur rôle, c’est faire de ses enfants des êtres indépendants, en sachant ni les négliger, ni les étouffer. Or, avec la disparition des modes autoritaires et répressifs d’éducation, est advenue une société hédoniste qui proscrit le retour à la contrainte, évite les conflits et prescrit une recherche généralisée de l’accomplissement de soi qui est compris comme satisfaction sans limite des désirs. Guider l’enfant à devenir un acteur de la société à venir, c’est lui apprendre la frustration, la régulation de la satisfaction de ses besoins, lui apprendre à devenir soi-même sa propre loi. Le brouillage des rapports hiérarchiques sous prétexte de démocratisation a plongé les individus dans la confusion. Or, une société faite de rapports réciproques n’est pas viable. Et des enfants qui ne se sentent pas suffisamment contenus seront bien plus tentés d’éprouver des sensations fortes au travers de la violence ou des comportements à risque. Si la garantie de toute société contre l’extinction est bien la préservation de l’équilibre de ses enfants, il est temps de s’inquiéter.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°650 ■ 23/01/2003