Nos idées sur l’enfance. Étude des représentations de l’enfance en Occident
DUPEYRON Jean-François, L’Harmattan, 2010, 311 p.
Voilà une étude historique tout à fait judicieuse qui nous permet de relativiser la vision, trop souvent répandue, d’une conception moderne de l’enfance triomphante face au soi-disant obscurantisme médiéval qui aurait soit ignoré, soit méprisé cette classe d’âge. Jean-François Dupeyron nous fait la brillante démonstration que les mêmes visions du petit d’homme ont traversé, pour la plupart, l’histoire. Il en repère au moins quatre, que l’on retrouve sous des versions plus ou moins originales, de l’antiquité jusqu’à nos jours. La première d’entre elles considère l’enfant dans son manque, sorte d’intermédiaire entre l’animalité et l’humanité. Pour être plein de promesse, il n’a rien à proposer, n’ayant pas de présent, mais avant tout un avenir : grandir. Cette perception péjorative oppose son immaturité, son instabilité et son inconscience à la sérénité, la lucidité et la fermeté de l’adulte. En matière d’éducation, il convient de former cette cire molle, de pétrir cette terre et de façonner cette nature faible, afin de l’aider à discipliner ses pulsions primitives : amollir par la violence et durcir par les bonnes habitudes. Seconde vision, celle de l’enfant innocent. C’est le mythe poétique de l’être pur, doté d’intuition, voire de pouvoirs divinatoires, confronté à l’incompréhension du monde adulte. Il est le symbole de la virginité, de la blancheur immaculée, de la simplicité, du dénuement, le plus proche de l’état divin. Idéal de l’humanité, sa nature bonne et innocente n’a pas encore été pervertie, l’adulte n’étant qu’un enfant corrompu. En éducation, c’est Jean-Jacques Rousseau qui a le plus développé la pédagogie correspondante : passage certes, l’enfance est aussi un état que l’on ne doit pas dépraver, permettant à l’élève de découvrir par lui-même le savoir, en le laissant faire ses propres expériences. Troisième approche de l’enfant, celle le considérant comme un objet chosifié qui est connaissable, prévisible et rectifiable. Il n’est qu’une étape dans un développement global annoncé par le cosmos ou la science. Chaque aptitude attend son heure pour s’épanouir. Il suffit d’attendre la succession de stades déterminés, par avance. En éducation, il faut juste le nourrir, comme on arrose une plante, le soumettant à des tests et des courbes de croissance, pour vérifier son bon développement. Dernière représentation, celle de l’enfant sujet qui est appelé à conquérir son propre destin. Personne à part entière bénéficiant des droits comme les adultes, il n’est que ce qu’il se fait. L’éducation est puero-centrée sur la recherche de son épanouissement : place à l’appropriation contre l’imposition, l’autonomisation contre le forçage. Quatre conceptions qui se succèdent, s’entremêlent et s’entrechoquent.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1007 ■ 24/02/2011