Monoparentalité précaire et femme sujet

Gérard NEYRAND et Paztricia ROSSI, érès, 2004, 238 p.

L’une des évolutions majeures des dernières décennies aura été la transformation radicale du statut de la monoparentalité, avec un accroissement notable du nombre de familles concernées, passé entre 1975 et 1999, de 776.000 à 1.750.000. La montée du démariage a contraint une modification notable du regard porté par la société à son sujet. L’accession à la parentalité déclenche une réorganisation des relations à l’intérieur de la famille : aux liens de couple s’articule les relations, mère-bébé, père-bébé, couple-bébé. Le nouvel équilibre peut s’avérer harmonieux, comme il peut ne jamais s’établir, mettant en jeu quelque chose de l’ordre de la concurrence avec son lot d’envie, de dépit, de frustration et de jalousie. La séparation conjugale peut alors intervenir, déstabilisant fortement chacun et l’obligeant à une réorganisation douloureuse qui peut venir atteindre de plein fouet son intégrité psychique, certains pères se tournant vers l’errance et certaines mères s’accrochant à leur enfant comme à ce qui les empêche de sombrer. Autre conséquence forte, la précarisation de ces foyers : si 11% d’entre eux vivaient sous le seuil de pauvreté en 1985, cette proportion est passée, en 1995, à 17%. Plusieurs phénomènes se sont combinés pour provoquer cette dérive : la faible qualification des femmes de milieu populaire concernées, la diffusion du travail à temps partiel, souvent précaire et mal payé, mais aussi la difficulté pour les mères souhaitant retravailler après un arrêt consacré à l’éducation de leur enfant, pour retrouver un emploi. L’allocation de parent isolé créée en 1976 avait pour ambition de faire intervenir la solidarité nationale comme suppléance à la déficience économique. Mais deux effets non voulus ont largement contribué à pervertir les ambitions généreuses du législateur. En désincitant les mères à travailler, cette allocation les éloigne encore plus longtemps du marché du travail, réduisant d’autant leur employabilité. En entérinant la situation d’isolement, elle renforce aussi l’éloignement des pères en confirmant la destitution de leur place symbolique. De fait, 32% des pères ne voient plus leurs enfants et 18% très irrégulièrement. La situation est encore plus dure à porter pour certaines femmes d’origine étrangère qui sont confrontées à la contradiction entre la référence patriarcale de leur société d’origine et la référence démocratique relationnelle et individualisante de la société occidentale moderne. Les professionnels qui font face à la complexité de ces situations et l’ampleur des problèmes rencontrés ont une emprise relative sur ces difficultés et doivent faire preuve de créativité pour aider chacun à retrouver une place. Les deux auteurs, sociologue et psychanalyste, nous offrent là une réflexion intelligente et particulièrement précieuse sur une problématique au cœur de notre pratique quotidienne.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°741 ■ 17/02/2005