Co-éduquer. Pour un développement social durable
Frédéric Jésu, Dunod, 2004, 190 p.
« Si l’on accepte l’idée que l’éducation est au cœur du processus d’humanisation de l’homme, il faut que soient solidairement assumées, par et entre tous les adultes concernés les tensions de fond qui lui sont inhérentes » (p.176) Frédéric Jésu nous propose ici une réflexion des plus pertinentes portant sur la cohérence des adultes autour de l’enfant. Les certitudes d’autrefois se sont évanouies. L’enfant d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier : il est passé d’un statut de soumission et de passivité à celui d’acteur réactif. Les pratiques éducatives ont, elles aussi, beaucoup évolué, privilégiant bien plus l’alliance, le partenariat et la confiance que la confrontation, la rivalité et le contrôle. Notre société a subi une profonde mutation caractérisée moins par la perte que par la multiplication des valeurs de référence, moins par la relativisation que par la contradiction des normes. Plus est patente l’absence de modèles éducatifs indiscutables et absolus, plus font défaut les conseils clés en main et les recettes passe partout. A cela, enfin, s’est ajoutée la multiplication des professionnels et des bénévoles chargés, aux côtés des familles, de concourir à l’éducation de l’enfant. Dès lors, l’enjeu de l’éducation est devenu un jeu complexe de forces contradictoires à la fois unifiantes et discriminantes, centripètes et centrifuges, conservatrices et réformatrices. La nécessité d’une coordination est devenue incontournable. Elle constitue à la fois un objectif et un processus dynamique : pacifier et harmoniser les positions entre les différents adultes détenteurs de responsabilité éducative. Cette coopération suppose de commencer par se rencontrer vraiment avant même de penser à agir ensemble. Cela est particulièrement vrai entre les familles et les professionnels, les premières ayant été longtemps convoquées auprès des seconds, pour venir découvrir leur vérité émancipatrice. C’est avant tout d’une posture nouvelle dont il s’agit : reconnaître réciproquement ses compétences et ses limites, ne pas hiérarchiser le talent des différentes interventions, agir dans la complémentarité et la mutualisation. Bien entendu, cela ne peut se faire qu’en partageant des valeurs communes : celles qui proposent de faire advenir un petit d’homme libre et citoyen. Pour autant, il n’est pas question ni de confusion des rôles, ni d’une coalescence bétonnée univoque et convergente. Cette culture nouvelle renonce aux pratiques de confrontation, de compétition et de dénigrement au profit de logiques de reconnaissance de la légitimité des autres acteurs. C’est finalement le pari d’une rencontre et d’un échange basés sur le respect et la confiance mutuels, la convivialité et même une conflictualité constructive. Cette proposition de faire table ronde pour redéfinir les bases solidaires et émancipatrices de l’éducation constitue sans doute l’une des alternatives les plus pertinentes aux impasses de l’individualisme, du communautarisme et de l’autoritarisme.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°749 ■ 14/04/2005