Travailler avec les parents pour une nouvelle cohésion sociale
Georges FALCONNET, Reynald VERGNORY, ESF, 2001, 136 p.
Tout commence en 1994, par une expérience des plus intéressante qui se déroule dans une ville moyenne de province : Dieppe (36.000 habitants). Un groupe de professionnels du social constate son essoufflement dans son mode d’intervention par rapport aux familles en difficulté éducative. Un diagnostic social est réalisé qui aboutit à la conviction que lorsque les parents demandent : « placez mon enfant », il faut entendre non pas « séparez-moi de lui », mais plutôt « trouvez-lui une place » et plus particulièrement « rendez-nous notre place ». Naît alors le concept de reparentalisation. Il s’agit de « redonner une légitimité aux parents dans l’exercice de leur rôle, en valorisant la fonction parentale par un apport supplémentaire de compétences » (p.59). Vont alors se mettre en place : un groupe d’échange entre parents, un groupe à thème, des conférences débat et un service d’écoute parents (par téléphone et sur rendez-vous individuel). La démarche choisie ici s’inspire de la dimension collective de l’action sociale. Les professionnels basent leur intervention sur une logique de savoirs problématisés et non basés sur des normes. Ils rejettent toute catégorisation. Ils se positionnent, en outre, en terme de parité avec les parents, en renonçant à un positionnement d’expert. Ils ne sont pas d’ailleurs acceptés dans les groupes de parole en tant que professionnels ( ce qui les mettrait en position de voyeur) mais « en tant que parent ou au moins enfant de ses parents » (p.69) C’est là une démarche tout à fait innovante qui va à l’encontre des habitudes accumulées. On peut partager ou non cette approche. Elle a le mérite d’exister, de sortir des sentiers battus et de tenter de trouver d’autres modalités d’intervention. Mais là où ça se gâte, c’est dans la tentative de théorisation de cette expérience. A côté de propos et d’analyses d’une grande pertinence, on retrouve des maladresses qui tendent à invalider quelque peu la démonstration. Ainsi, en va-t-il de la volonté de dénoncer l’entreprise de culpabilisation des familles : « la responsabilité des parents est systématiquement évoquée comme cause centrale de l’échec scolaire, de la toxicomanie ou de la délinquance des enfants » affirme avec raison l’auteur (p.16). Mais, à peine a-t-il évoqué ce procédé simpliste et réducteur, qu’il l’emploie à son tour à l’encontre des professionnels ! Ceux-ci infantiliseraient ces pauvres parents, les humilieraient et les traiteraient avec une grande brutalité. On aurait aimé que l’auteur s’inspire un peu plus de la systémie qu’il évoque par ailleurs, démarche qui s’attache à définir la co-responsabilité de chaque acteur dans toute situation, plutôt que de chercher ainsi à inverser la place des bons et des méchants. Quant à l’action individualisée auprès des familles, elle est condamnée, à cause de « ses effets de stigmatisation et son improductivité de lien social » (p.27) Seule l’action collective a droit de cité « parce que l’identité est une construction sociale à travers des interactions, le groupe est un moyen privilégié pour reconsolider ou reconstruire des identités positives » (p.28). Que chacune de ces démarches puisse répondre à sa façon à des situations particulières n’effleure manifestement pas l’auteur : choisis ton camp, camarade ! Mais, le bouquet final n’est pas mal non plus : grâce à cette nouvelle façon de travailler les travailleurs sociaux « réussissent à sortir d’une vision négative de l’usager pour aller vers la globalité de la personne dont ils découvrent les capacités de réflexion, de critique et les ressources. » (p.25) ... Qu’on se le dise : le travail social a enfin trouvé son messie, celui qui lui a ouvert les yeux, lui a apporté la vertu et lui a enfin montré le chemin du salut et de la connaissance ! On en arrive à se demander parfois, si la sociologie n’est pas chose trop sérieuse pour être confiée à certains sociologues. Pourtant, et c’est dommage, il n’y a pas que des bêtises dans cette analyse, loin de là. L’erreur réside ici, peut-être dans la tentation d’ériger une démarche, au demeurant fort séduisante, en une nouvelle chapelle. Tordre le bâton systématiquement dans le sens inverse pour se faire entendre n’est pas forcément le meilleure tactique ! En tout cas, un livre à lire absolument, pour son côté à la fois enrichissant et dérangeant.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°580 ■ 14/06/2001