Dans les silences des mères
André AGARD-MARECHAL, Albin Michel, 2007, 167 p.
Le spécialiste n’est pas celui qui repère ce qui ne va pas dans la relation entre une mère et son enfant, mais celui qui se met à leur écoute. Ce n’est pas non plus celui qui les évalue, mais celui qui sait mettre ses savoirs à leur service, de telle façon qu’ils ne se sentent ni jugés, ni blessés. Ce n’est pas celui qui les observe, mais celui qui s’engage dans une relation avec eux. Ce n’est pas celui qui étudie leur situation, mais celui qui les accompagne. Ce n’est pas celui qui leur dit comment faire, mais celui qui les soutient et les encourage. De qui parle l’auteur ? De son travail de psychologue scolaire dont il dénonce les risques d’instrumentalisation, tant dominent des discours conformistes dans une institution qui jamais « ne s’est montrée aussi normative » (p.37). L’école juge trop souvent l’aptitude d’une mère à l’aune de sa capacité à produire un enfant modelé à son projet institutionnel. Les enseignants se trouvent très vite déstabilisés face à tout élève non formaté. Une chose est le dépistage, une autre est la prévention, explique André Agard-Maréchal. Le premier se limite à identifier des dysfonctionnements et des écarts à la norme, là où la seconde intervient bien en amont, en tentant de donner les moyens aux parents de trouver les compétences nécessaires pour faire évoluer le problème. A cela s’ajoute une profonde modification des places. Auparavant, les pères étaient situés au sommet de la famille. Aujourd’hui, il sont disqualifiés et dénigrés par les sarcasmes d’une mère qui occupe le centre de tout. Les valeurs qui régulent la vie familiale sont, pour l’essentiel, féminines : l’échange et le don, la chaleur et la solidarité, l’égalité et la transparence, l’authenticité et l’amour. D’où la difficulté du nécessaire travail psychique qui permet la séparation de la mère et de l’enfant et l’autonomisation de ce dernier. Mais aussi les attitudes de ces mères qui veulent trop combler leur progéniture. Or, une mère parfaite, disponible en permanence, n’oblige pas son enfant à différer, à se représenter ce qui lui manque. Elle gèle ainsi chez lui le développement de toute activité de pensée et de tout désir. Avec un infini respect et une écriture pleine de finesse et de retenue, André Agard-Maréchal nous fait vivre certaines des situations qu’il a rencontrées. Confronté à un enfant hyper actif, à celui qui est mutique ou à celui qui refuse toute graphie, il a souvent du canaliser des enseignants tout prêts à dramatiser les signes et les symptômes, sans se donner le temps de les voir évoluer. Mais il a aussi été amené à démêler les nœuds de la situation familiale, s’appuyant sur la dynamique de ses membres, démontrant ainsi qu’à côté du savoir-faire du professionnel, il y a les compétences des mères et de leurs enfants qu’il faut savoir faire émerger : « le psy n’est pas un prêtre, ni un juge, ni un médecin. Il laisse à l’autre toute la place nécessaire. Il s’efface autant que possible. S’effacer demande beaucoup de travail et de rigueur » (p.158)
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°843 ■ 07/06/2007