Le vrai rôle du père
Jean LE CAMUS, Odile Jacob, 2000, 192 p.
Traditionnellement, le père se voit affubler de la mission de séparer la mère et son bébé et de permettre à ce dernier d'intérioriser la loi, toutes choses qui marquent le passage de l’état de nature à celui de la culture. Ainsi, pour la plupart des psychologues, l'âge du père interviendrait après l'âge de la mère. Jean Le Camus se propose ici de dépasser ce modèle classique qu'il dénonce comme réducteur. Pour l'auteur, le père joue un rôle à la fois multidimensionnel (et non unidimensionnel), immédiat (et non tardif) et concret (et non uniquement symbolique).
Il rétablit d’abord l'importance du père dès la naissance. L'enfant engramme très tôt les stimulis sensoriels, les modes de communication verbale et non verbale et les manifestations affectives émises par les deux parents. Comme la mère, le père constitue une figure potentiellement d'attachement et peut, quand il a été suffisamment présent auprès du bébé, présenter le même potentiel pour consoler, rassurer et réconforter. Les pères ont donc une place à prendre auprès des nourrissons : leur présence dans les six premiers mois provoque d'ailleurs une plus grande sécurisation chez le bébé qui se montrera par la suite plus ouvert au monde et se comportera lors de la séparation d'une manière moins archaïque.
C'est ensuite le rôle respectif du père et de la mère qu'il convient de réévaluer. Tout enfant oscille entre une demande de protection et une aspiration à l'exploration. Les deux parents peuvent assumer les deux rôles de port d'attache et de source de stimulation, même s'ils le font chacun d'une façon bien différente. Stimulation visuelle pour la mère et bien plus tactile et kinesthésique pour le père. Approche plus coulée et enveloppante, douce et prévisible pour la mère, plus physique, heurtée, perturbatrice pour le père.
C'est enfin les effets des mutations qu'a subi la famille depuis quelques décennies qu'il faut reconsidérer. Si des changements profonds ont eu lieu, ils se sont néanmoins stabilisés tant au niveau de la chute de la fécondité que de l'effondrement du nombre des mariages ou encore de l'explosion des divorces. La multiplication des situations mono et pluri parentales quant à elles, n'empêche tout de même pas 82,8% des enfants de vivre avec leurs deux parents ! Là où l'évolution est la plus marquante, c'est dans la façon dont sont vécus respectivement la famille (comme avant tout un lieu d'échanges affectifs), la parentalité (comme engagement de couple) et l'enfant (comme un être actif).
Dans un tel contexte, le rôle joué par le père ne souffre pas, comme on le prétend trop souvent, d'un désinvestissement et d'une absence généralisés, mais d'une réorganisation dont les effets ne sont pas si catastrophiques qu'on veut bien l'affirmer.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°548 ■ 19/10/2000