Y a-t-il de bonnes mères?
Maurice T. MASCHINO, Belfond, 1999, 302 p.
"Il n'y a de bonnes mères que mortes". Maurice T. Maschino n'y va pas par quatre chemins. S'attaquer à ce que notre société a de plus sacré : la figure maternelle, relève du défi, voire de l'inconscience. C'est peut-être pour cela que la lecture de cet ouvrage est à recommander en priorité. Demander à une mère d'aimer sans excès, sans accaparer son enfant, ni l'étouffer. Lui demander de trouver le juste équilibre entre l'enfant objet et sa reconnaissance comme sujet. Lui demander de passer sans accroc d'une relation fusionnelle (indispensable au nouveau né) à une relation affectueuse qui respecte les différences et les distances. Lui demander de s'effacer tout en restant présente, d'être au plus prêt de ses besoins tout en créant du manque ... autant d’attentes relèvant de la mission impossible. Et l'auteur, de décliner les nombreuses occasions données aux mères d'exprimer toute leur hostilité, leur agressivité et leur nuisance. Il faut commencer par la légèreté avec laquelle la procréation s'engage : les enfants sont rarement désirés pour eux-mêmes, tant ils servent de prétexte, de remplacement, de rustine, de prothèse, de convenance ou de réparateur de deuil, de solitude ou de destin . Les femmes cherchent le plus souvent dans la maternité une réponse à des aspirations souvent très éloignées de l'objet qui a pour fonction de les satisfaire. En outre, la maternité est le plus souvent le produit de la pression sociale : la jeune femme a si bien intériorisé les attentes, les normes et les modèles de la société dans laquelle elle vit, qu'elle les devance, s'y conforme sans hésitations. Elle est quasiment obligée d'être mère, de dire que cela la rend heureuse et de répéter à l'envie que c'est merveilleux. Puis, vient l'accouchement qui constitue un cataclysme physique et psychique : la transformation brutale qui s'opère, à cette occasion, renvoie à l'arrachement vécu dans un contexte de souffrance extrême. Mais là aussi, il ne convient guère d'étaler ses douleurs. Puis viennent les soins au nourisson. En léchant, bisouillant, papouillant, chatouillant, mordillant leur bébé, toutes les mères sont persuadées qu'elles se situent dans la tendresse. Pourtant, il arrive qu'elles donnent plus d'excitations que l'enfant n'est capable de recevoir: "exceptées les mères froides, voire haineuses qui ne touchent jamais leur enfant ou le maltraitent, il n'est guère de mères qui échappent à l'incestuel" (p.99). Passés les premiers mois de ravissement, une femme a aussi l'envie d'être elle-même et de satisfaire d'autres désirs (travailler, créer, voyager, vivre son amour ...). L'enfant peut devenir alors le bouc émissaire de frustrations accumulées. Et puis, il y a cet effort inconscient pour s'opposer à l'autonomisation de l'enfant et le modeler selon son désir, de conformer son apparence à son propre goût. Aucun amour ne laisse indemne, l'amour maternel encore moins. Passée une certaine limite, il grève le développement affectif de l'enfant et entrave sa maturation. Une vraie bonne mère, c'est une femme qui pourrait être heureuse sans enfants: pareilles mères sont probablement très rares, à supposer qu'elles existent !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°548 ■ 19/10/2000