Reconnaissance sociale et dignité des parents d’enfants placés. Parentalité, précarité et protection de l’enfance
SÉCHER Régis, L’Harmattan, 2010, 205 p.
Voilà un ouvrage de grande qualité, abreuvé aux meilleures sources des sciences humaines, présenté dans une langue fluide et accessible, qui évite à la fois l’approximation du sens commun et le jargon universitaire. La recherche que nous présente Régis Sécher est consacrée à une population qu’il a côtoyée en tant qu’éducateur : ces parents d’enfants placés, confrontés à la réprobation sans appel du corps social. Même si la volonté de considérer ces familles comme partenaires de l’éducation de leurs enfants ne va pas de soi, elle s’inscrit néanmoins dans les pratiques contemporaines qui revendiquent le remplacement de la substitution et du rejet du milieu d’origine, par la suppléance et la co-éducation. Mais, entrer dans une relation de collaboration avec elles ne peut se faire que si l’on s’ouvre au préalable à leur souffrance, leur parcours de vie et à leurs conditions d’existence. Leur précarité et leur sentiment d’inutilité sociale expliquent qu’ils se soient quelquefois retirés dans des sphères de plus en plus réduites. Comme cela éclaire ce déchirement qui s’installe entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils voudraient vivre. Leur passé douloureux a souvent été fait d’abandon, de placement, de violence intrafamiliale, d’échec scolaire, de pauvreté et de privation. Leur présent les confronte à la pathologie mentale parfois, aux difficultés financières souvent, à une vie de couple chaotique fréquemment. Sans compter l’isolement et l’impossibilité d’asseoir leur autorité face à un enfant qui passe par une période de fragilisation. Quand vient se rajouter la décision de placement, s’effondre alors le sens donné à leur existence et la valeur qui fonde leur vie. La stigmatisation sociale vient ruiner une image de soi, déjà bien entamée. Or, pour vraiment réussir à travailler avec ces parents, il faut d’abord les reconnaître dignes d’éduquer ou du moins de participer à l’éducation de leur enfant. Car, c’est bien le degré d’estime que nous portent nos semblables qui nous permet de construire notre propre pont de vue sur nous même. Telle est la thèse centrale de l’ouvrage, étayée par un travail d’entretiens avec ces familles et une modélisation de leurs réactions qui vont de la révolte à la pleine justification de la séparation, en passant par la logique de résignation et le sentiment que les services sociaux ne sont pas suffisamment attentifs aux progrès des parents. La force de cette démonstration est de souligner l’importance de la reconnaissance des compétences parentales, comme préalable à leur déploiement. Pour autant, il faudrait que s’impose parallèlement le droit à ne pas pouvoir être parent ou de ne l’être qu’à temps partiel, sans que cela entraîne la flétrissure actuelle.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1025 ■ 07/07/2011