Mythe de la parentalité, réalité des familles
KARSZ Saül, Ed. Dunod, 2014, 320 p.
Saül l’icono Karsz a encore frappé. Et son nouvel opus est un vrai régal. Avec précision et minutie, il dissèque au scalpel cette notion de parentalité que nous avons tou(te)s, peu ou prou, adoptée. Elle nous semblait pourtant si simple et si facile à utiliser. Eh bien non ! Il ne sera plus possible, dorénavant, de l’employer sans penser à la déconstruction systématique dont elle fait l’objet, ici. Que nous dit l’auteur ? Cet ensemble bigarré, multidimensionnel, disparate et complexe que constitue la famille fait l’objet d’une multitude de discussions, de diagnostics, de pronostics, de discours, d’écrits sans qu’aucun, malgré les prétentions de certains, puisse prétendre porter un regard exhaustif sur la complexité de sa réalité. D’abord, vient l’enfant qui n’appartient qu’à lui-même : il serait illusoire d’en faire un réceptacle vide, objet passif de l’action des adultes. C’est un être réactif, à la fois produit et acteur de l’éducation qu’il reçoit. Viennent ensuite les parents, mis en accusation par une société qui se dédouane, à bon compte, de la responsabilité qui est la sienne dans l’évolution de ses membres, des déterminations pesant sur chacun d’entre eux. Survient, encore, la famille, dont la forme contemporaine n’a rien d’éternelle, mais est l’expression d’une construction socio-historique et d’une constellation intersubjective données. Enfin, il y a ce concept de la parentalité, produit d’une idéologie fixant une modélisation des comportements, des affects et des pensées qu’il faut respecter pour être dans la norme admise. Ce qui existe doit s’emboîter dans ce qui doit exister, sous peine d’être diagnostiqué comme défaillance avérée et d’induire un redressement consécutif. Il est fréquent de stigmatiser une absence tant de référence à la loi qu’un défaut de limites, une instabilité ou une immaturité propres à nuire à l’épanouissement de l’enfant. Trop souvent, ces catégories s’enferment dans des automatismes et des lieux communs, ignorant la loi, les limites, la stabilité et la maturité qui pour être différentielles de la norme, n’en existent pas moins. Les capacités et les compétences admises et valorisées sont généralement celles qui sont consignées dans les typologies, les tests, les référentiels et les manuels. L’action auprès des familles ne peut être légitime, qu’à condition d’accepter qu’elle ne soit ni automatiquement fondée, ni forcément pertinente. Loin de l’auteur l’idée de renier l’utilité des sciences humaines, à condition, dans le même temps, de les mettre à distance. Un clinicien qui ne se questionne pas est un applicateur de recettes. Et, réfléchir implique de mettre en risque la théorie et de l’investir au plus près des situations. Accompagner la famille ne doit pas chercher à lui permettre d’atteindre le modèle idoine d’un « être parent » mythique. Il faut l’aider à faire de la seule façon possible : comme elle peut !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1153 ■ 11/12/2014