Où va la famille ?
PIERRON Jean-Philippe, Ed. Les Liens qui Libèrent, 2014, 231 p.
Comment réussir à penser la spécificité qui fait la famille, face à l’alternative d’un moralisme abstrait la réduisant à une unité idéalisée, éternelle et naturelle et d’un relativisme la dissolvant dans la multiplication de ses configurations culturelles ? Peut-être, en se tournant vers un philosophe, comme Jean-Philippe Pierron qui, évitant tout réductionnisme, préserve la complexité. Cette institution, explique-t-il, se trouve à la conjonction du biologique et du symbolique, de la nature et de la culture, de la dette et du don. Elle est au carrefour du conservatisme et de l’innovation, de l’axe horizontal des contemporains et de l’axe vertical des successeurs, du passé et de l’avenir. Elle est à la charnière de l’affirmation naturaliste de « tout est donné » et de l’affirmation culturaliste de « tout est construit », de l’élaboration d’une place dans la généalogie et de la construction d’un avenir. Si elle peut être le lieu de reproduction d’un ordre injuste, elle est aussi l’espace de socialisation et d’humanisation permettant à chacun d’expérimenter l’autre à travers la conjugalité, la généalogie et la fraternité. Si elle peut conforter les inégalités de genre, c’est aussi elle qui confronte à l’énigme de la sexualité, à l’étrange expérience de l’engendrement et de la suite des générations. Si elle peut être le lieu de la violence physique et/ou psychique, c’est aussi elle qui s’oppose à l’anthropologie utilitariste portée par la mondialisation, en offrant une hospitalité et une coopération dénuées de toute marchandisation et quantification monétaire. Quand elle est travaillée par l’égalité des conditions entre hommes et femmes et entre parents et enfants, quand, progressivement, elle renonce à la contrainte et à l’imposition au profit de la négociation et de la médiation, la famille démontre qu’elle est avant tout une forme sensible et réactive à son époque.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1142 ■ 29/05/2014